Si l'on s'en tient au repérage des thèmes sonores dans les poèmes, il est symptomatique que les Ariettes I et V soient celles qui proposent le plus grand nombre de synonymes de "chant", d'"air". L'Ariette II contient aussi "murmure", "voix anciennes", "ariette" ; la III "bruit doux" et "chant (de la pluie)", en rapport avec le "Il pleure" ; enfin, la IX a "se plaignent les tourterelles", repris par "pleuraient". Et c'est tout, à l'exception de Simples fresques I (Paysages belges), où un "oiseau faible chante" dans un arbre et où un "AIR monotone" berce des langueurs. Mais ce poème, qui joue sur deux sens du mot "air" à la façon de Sagesse, III, 9, ressemble trop à une Ariette (la dernière) pour que nous en tirions argument en faveur du leitmotiv. La question à poser serait plutôt, comme pour le motif de l'arbre à l'oiseau : pourquoi ce rappel des Ariettes oubliées au milieu des Paysages belges ?
Dans cette deuxième section, le thème du sonore se réduit pour le reste à :
Walcourt | "clameurs" |
Charleroi | "(le vent) pleure", "siffle", "tonnent", "bruissait Comme des sistres", "cris des métaux" |
Chevaux de bois | "au son des hautbois", "au son du piston vainqueur", "au son joyeux des tambours" |
Malines | "en silence", "sans un murmure", "où l'on cause bas" |
Entre les cris (Walcourt, Charleroi) et le silence (Malines), les instruments de musique sont plutôt du côté du bruit, métallique : le passage du hautbois au piston, puis au tambour, fait système avec les "sistres" et les métaux de Charleroi. Tableau contrasté au total, au milieu duquel les Simples fresques font abstention (II) ou rappellent le chant de la section précédente (I).
Dans les Aquarelles, pour finir :
Green | "laissez rouler ma tête Toute sonore encor..." |
Streets II | "elle roule sans un murmure..." |
Child Wife | "En poussant d'aigres cris poitrinaires, hélas ! Vous qui n'étiez que chant !", "Car vous avez eu peur de l'orage et du coeur Qui grondait et sifflait, Et vous bêlâtes vers votre mère..." |
Curieusement donc, le dernier bruit des Romances sans paroles est un bêlement ! "Cris" et "sifflait" reprennent le thème en /i/ de Charleroi, mais Child Wife fait aussi une opposition, qui nous paraît essentielle à la compréhension du titre général, entre "cris" et "chant". Nous sommes ici à la limite des "romances sans paroles" : ce que suggère la rime "méchant"-"chant", c'est le contraire exact, la répudiation de la Bonne Chanson, titre en lequel nous avons soupçonné un équivalent, ou une variante méliorative, de Romances sans paroles. Et Birds in the night, significativement, pourrait être paroles de romance...
Green et Streets II construisent, à eux deux, un autre contraste, à partir du verbe "rouler", entre "toute sonore" et "sans un murmure". Ce qui reprend l'opposition entre le "son" (des hautbois, du piston et des tambours) de Chevaux de bois, et les "glisse sans un murmure" ou "filent en silence" de Malines. Mais qui renvoie aussi, pour le verbe "rouler", au "roulis sourd" de l'Ariette I ainsi qu'au "plus calme encor Que le déroulement des vagues" de Beams, à l'autre extrémité du recueil. Un motif sonore, amoureux et aquatique se joue là, qui a partie liée avec le bercement, le silence, la disparition du murmure vers le mouvement indéfini.
Le contraste du silence et du bruit est évident, mais l'opposition du murmure au silence tient, elle, quasiment tout le recueil. Les "sans un murmure" de Malines et de Streets II nient en effet ce qui est au principe des deux premières Ariettes :
O le frêle et frais murmure ! Je devine, à travers un murmure, |
identiques rémanences de l'amour. Et si le premier de ces vers fait de "murmure" un mot-valeur en tant qu'il redouble intégralement une syllabe, nous trouvons la figure exactement contraire dans Streets II :
Derrière un MUR haut de cinq pieds, Elle roule SANS UN MURMURE... |
Le mot "mur" équivaut là à la négation qui suit, voire la produit en révélant dans "murmure" la possibilité d'une soustraction, antithèse des redoublements de syllabes de l'Ariette I. "Murmure" était là fort proche de "romances sans paroles". "Chant" aussi paraissait chaque fois dans le paradigme de la même préposition :
Pour un coeur qui S'ENnuie O le CHANT de la pluie ! Il pleure SANS raison L'or, sur les humbles abîmes, |
SANS fait ainsi une continuité, de Romances sans paroles à "sans un murmure", mais comme si la perception d'un glissement objectif (du train, de la rivière) provoquait la disparition de l'air, en substituant pour ainsi dire une négation simple à la négation interne, une pure absence à une absence en acte.