SCHEMAS DE RIMES ET STROPHES
mètre |
nombre de vers strophes |
strophe |
schéma de rimes |
alternance |
||
Ariette I Ariette II Ariette III Ariette IV Ariette V Ariette VI Ariette VII Ariette VIII Ariette IX |
7 9 6 11 10 8 8 5 12 + 7 |
18 12 16 12 12 32 16 24 8 |
3 3 4 3 2 8 2 x 4 6 2 |
sixain quatrain quatrain quatrain sixain quatrain distique quatrain quatrain |
aabccb embrassé abaa croisé ababba/abaaba croisé rimes plates 4 embrassés, 2 croisés rimes plates |
oui F oui F oui (non) oui F F |
Walcourt Charleroi S. fresques I S. fresques II Chevaux de bois Malines |
4 4 7 5 9' 8 |
16 28 12 18 28 20 |
4 7 3 3 7 4 |
quatrain quatrain quatrain sixain quatrain quintil |
croisé embrassé 1 embrassé, 2 croisés aabccb embrassé abbab |
oui oui F M strophique oui |
Birds in the night | 10' | 84 | 7 x 3 | quatrains par trois | 20 croisés, 1 embrassé | strophique |
Green Spleen Streets I Streets II Child wife A ... shepherd Beams |
12 8 8+4 8 12+6 5 12 |
12 12 12+5 12 20 25 16 |
3 3 4 2 5 5 4 |
quatrain quatrain clivé tercet sixain quatrain quintil quatrain |
croisé croisé monorimes aabccb croisé 2 abbaa, 3 ababa embrassé |
oui oui oui ? oui M oui oui |
Les éléments de versification autres que le mètre ne semblent pas jouer un rôle considérable dans la composition, faute assez souvent de caractériser dans leur entier des poèmes qu'ils serviraient à rapprocher. En ce qui concerne les STROPHES, peut-être pourrait-on reconnaître au sixain une valeur définie : même quand il n'est pas conforme au schéma classique aabccb, il se distingue par l'ampleur laissée à la phrase. Les Ariettes I et V, Simples fresques II et Streets II sont tous quatre des poèmes du glissement spatial, grâce à une syntaxe de l'arabesque, du tour, qu'on pourrait à la rigueur opposer à celle des strophes courtes : vrais distiques de l'Ariette VII ou tercets de Streets I multipliant les répétitions comme pour insister sur l'absence/ présence par une scansion supplémentaire, faux distiques de Spleen qui entrecroisent énigmatiquement deux thèmes sur des cadavres de quatrains...
Quant aux quintils, ils ne pourraient tenir ici une éventuelle identité que d'être des strophes dont le dernier vers répète plus ou moins exactement le premier, parfois contre le schéma de rimes. Mais même cela ne saurait fonder un rapprochement convaincant entre Malines et A poor young shepherd, les deux poèmes concernés : alors que, revenant à la rime a aussi bien après un "quatrain" croisé qu'après un "quatrain" embrassé, le second va jusqu'à étendre ce schéma aux strophes et se transforme ainsi en quintil de quintils, le premier n'y recourt que dans la première strophe, et encore partiellement il répète la rime b et, surtout, il défait la clôture, comme pour contredire une nouvelle fois Walcourt et Charleroi, eux fermés, carrés.
Mais c'est aussi que, globalement, le SCHEMA DE RIMES est impropre à former des paradigmes stables, parce qu'il est soumis à une triple remise en cause :
atteinte au principe d'individuation, de différenciation des rimes (a b c), par apparentement de couples au sein d'une même strophe (cf. notre analyse de l'Ariette I, mais on peut aussi citer le premier quatrain de la IV, le troisième de la VIII et la IX tout entière...) ;
atteinte au principe de l'équivalence abstraite des schémas (abba = cddc) par reprise de rimes d'une strophe à l'autre (on en donnera pour exemples Walcourt [cf. l'analyse que donnent de ce poème J. Molino et J. Gardes-Tamine, page 185, mais il faudrait la compléter en intégrant la reprise des consonnes nasales d'appui] ou l'Ariette III) ;
atteinte au principe de récurrence, par modification du schéma en cours de poème (Ariettes V et VIII, Simples fresques I, Birds, A poor young shepherd).
La prosodie des rimes apparaît ainsi comme une prosodie étendue (en tout cas, susceptible de s'étendre) de la strophe au poème entier les rimes étant en quelque sorte retirées à la simple versification pour être versées à la prosodie globale. Le mètre était une variable dans le recueil : d'où son rôle dans la composition. Le schéma n'est qu'une variable dans le poème, qui seul en dispose. Ainsi d'éventuelles homologies entre la forme strophique et la construction de la pièce entière (on peut penser ici au jeu entre strophes croisées et strophes embrassées dans l'Ariette VIII) peuvent se décider en cours de poème, de façon extemporanée. Aussi les convergences ne peuvent-elles résulter que de modifications ou d'atteintes comparables, d'une pièce à l'autre, à l'un ou l'autre principe (1), non de douteuses similitudes abstraites.
Pour en terminer avec les strophes, le NOMBRE paraît jouer un certain rôle : par exemple les "4" et les "5" qui font la carrure de Walcourt et de A poor young shepherd. On pourrait se demander si le fait que les quatre premiers poèmes d'Aquarelles comptent chacun douze vers (en faisant, pour Streets I, abstraction du refrain) n'est pas à mettre en relation avec la prééminence de l'alexandrin dans cette section. Mais des Ariettes "impaires" ont la même longueur... En revanche, nous soulignerons la curieuse symétrie qui informe l'ensemble des Paysages belges : le nombre des strophes de chaque poème est, dans l'ordre, de 4, 7, 3, 3, 7, 4. Une telle disposition concourt à l'organisation concentrique et renforce par exemple la pertinence d'un rapprochement entre Charleroi et Chevaux de bois, déjà liés par l'écho entre titres et par le thème de la musique métallique : même quatrains embrassés, en même nombre, et donc même nombre de vers : 28. Et comment ne pas voir que le dédoublement de Simples fresques trouve parfaitement sa place au centre de cette structure :
Walcourt - CHarlerOI - (Simples fresques) - CHevaux de bOIS - Malines |
Huit poèmes violent la règle de l'ALTERNANCE ENTRE RIMES FEMININES ET RIMES MASCULINES (2). Cinq sont à rimes uniquement féminines puis, leur succédant dans le recueil, deux à rimes seulement masculines. L'Ariette VI, quant à elle, associe dans chaque couple une terminaison féminine et une terminaison masculine ("Nivelle"-"Michel", "Guet"-"égaie"...), mais respecte l'alternance de strophe à strophe et de paire à paire. D'où un schéma AbaB cDCd EfeF... (les féminines sont notées par une majuscule), dont le poème ne s'écarte qu'à la dernière strophe qui copie, en même temps que certains mots, l'organisation de la première, sans égard pour ce qui précède : ... MnmN OpoP. La rupture, qui est aussi sémantique, renforçant l'effet de cadre.
Cette alliance masculin/féminin n'est probablement pas motivée, ou ne l'est pas tout entière, par l'allusion métapoétique à "la rime non attrapée" (vers 28), qui n'intervient qu'au moment où riment "place" et "las" et où le poème va renoncer à l'alternance strophique. Mais comment ne pas songer à la "sexuisemblance" (selon la formule de Damourette et Pichon) des rimes, quand l'ariette commence par apparier "le chien de Jean de Nivelle" et le "chat de la mère Michel", avant de passer aux amours de Médor et d'Angélique, de La Ramée et de la Boulangère, puis au brillant arroi d'une courtisane hors d'atteinte ? Cette thématique amoureuse appelait de tels mariages forcés entre rimes de genres différents. Et l'interprétation est apparemment confortée par le traitement contrasté de deux poèmes "homosexuels" : l'Ariette IV, saphique, ne compte que des rimes féminines, tandis que Simples fresques II, qui se réfère probablement au couple Verlaine-Rimbaud est écrit en rimes masculines.
Cependant, sans contester cette motivation (on peut très bien l'admettre ponctuellement), il faut en constater les limites. Il n'y a sexualisation possible de la rime de genre unique que dans trois cas sur huit, peut-être quatre : pour Child wife (rimes masculines), on pourrait à la rigueur supposer, derrière l'exécration témoignée à Mathilde, une homosexualité latente que trahiraient le "nous" énigmatique du vers 8 ("Qui nous fait mal à voir") et l'exaltation finale d'un "amour brave et fort" rappelant celui de Simples fresques II. Mais l'exercice ne paraît pas pouvoir être transposé aux Ariettes II, VIII et IX, non plus qu'à Simples fresques I. Comment justifier le procédé dans l'ensemble de ses emplois ? Il nous semble que les Simples fresques donnent une indication dans la mesure où, contrastant les deux genres, elles organisent la transition de l'un à l'autre, à la jointure de deux versants métriques-thématiques.
Dans les Paysages belges, ce sont les seuls poèmes qui ne respectent pas l'alternance, ou plutôt qui, unis sous un même titre et par des incipit proches, la réalisent ensemble : comme alternance de poème à poème, selon l'expression de S. Ghali [page 107]. Comme les quatre autres pièces à rimes exclusivement féminines se trouvent dans les Ariettes oubliées et l'autre pièce masculine dans Aquarelles, Simples fresques I, "La fuite est verdâtre et rose", se définit à nouveau comme un écho des Ariettes. Plus précisément peut-être de la deuxième, "Je devine à travers un murmure", qui est le seul autre poème à n'user que de rimes consonantiques et à employer "jour" dans l'acception de "lumière" ("jour trouble", "demi-jour... Qui vient brouiller toute chose"). On pourra alors se souvenir que les pièces "féminines" suggèrent volontiers une confusion qui est exclue du deuxième versant : l'Ariette IV commence par faire une indistinction entre bonheur et malheur par ses rimes "heureuses"-"moroses"-"pleureuses", avant des mots comme "mêlions", "âmes soeurs", "confus"... L'Ariette VIII travaille à rapprocher les éléments : neige et sable, ciel et cuivre, nuées et arbres ; la IX s'attache à l'ombre et au reflet... A l'opposé de cette série, les poèmes à rimes masculines creusent la distance : entre "nous" et le "château" (Simples fresques II), entre "je" et "vous" (Child wife). La même volonté de rupture, la même ironie simplificatrice caractérisent Streets I, que son refrain seul écarte de cette série. Si on se limite à Simples fresques, on trouvera en I, féminin, des "langueurs", des "apparences" ; en II, masculin, un château, "des messieurs bien mis", un couchant de chromo, des envies de stabilité bourgeoise. D. Hillery [page 31] a donc probablement beaucoup de raisons d'écrire :
"The feminine rhymes of I are suited to the vagueness of the content and (...) the clarity of II is best served by the hardness of the masculine rhymes. (...) The mood of each poem is supported by and supports technical decisions of a simple but fundamental nature. There are other examples of a similar sort : the brittleness and apparent cynicism of Streets I, the invective and sarcasm of Child wife seem appropriate to their masculine rhymes..."
On peut même imaginer le partage réglé par le contraste entre les deux déverbaux initiaux, qui donneraient le ton : "La FUITE est verdâtre et rose" tirant le verbe de mouvement vers un éprouvé abstrait ; "L'ALLEE est sans fin" le tirant vers le concret. Mais on risque ainsi de retomber dans l'opposition du vague et de l'aigu par laquelle certains rendent compte de pratiquement tout Verlaine, selon des modalités d'ailleurs si indéfiniment réfractables les unes dans les autres que l'analyse en perd beaucoup d'intérêt. Nous préférerons partir, une fois encore, du principe constructif, et considérer que l'opposition prend forme et force de construire Simples fresques comme centre double du recueil, un peu comme l'opposition de l'heptasyllabe et de l'alexandrin n'a de valeur qu'à partir de leur confrontation dans l'Ariette IX telle que celle-ci se rapproche/ se distingue de Child wife, de l'Ariette I, de Beams... Les propriétés fondamentales restant, elles, douteuses.
De surcroît, cette bipartition du poème participe de la symétrie multiple propre aux Paysages belges : Simples fresques est d'abord le moment où se fait le départ entre deux versants du livre.
S'il y a peu de choses à ajouter sur les poèmes à rimes uniquement masculines, dont l'opposition aux Ariettes souligne l'aspect quelque peu caricatural jusqu'à y révéler une sorte de négatif schématique des poèmes à rimes féminines, ces derniers n'ont, eux, probablement pas livré tous leurs secrets. En effet, ces cinq pièces ont aussi en commun de comporter des mètres impairs (3), tandis que toutes les pièces en mètres pairs (Ariettes III, VI, VII, Walcourt, Charleroi) tiennent la balance égale entre les deux genres, voire (Ariette V) accordent une légère prééminence à la rime masculine. Il n'est pas jusqu'à l'Ariette I qui, écrite en heptasyllabes, ne privilégie les rimes féminines, dans la proportion de deux sur trois (en vertu du schéma AAbCCb, où b seule est masculine) ; elle amorce ainsi, en tête de recueil, l'association impair-rimes féminines. En revanche, sur l'autre versant des Romances sans paroles, les mètres impairs font dominer la rime masculine, mais de moins en moins nettement : après Simples fresques II, tout entier masculin, Chevaux de bois est soumis à l'alternance strophique (quatre strophes masculines contre trois féminines) et A poor young shepherd respecte complètement l'alternance (13 vers à rime masculine contre 12 à rime féminine). Serait-ce une sorte de retour à la norme, après un passage par l'"antithèse" au moment des Simples fresques ?
En tout cas, si circonscrite qu'elle soit à la première moitié du recueil, la concordance entre dominance des rimes féminines et mètre impair pose problème, dans la mesure où elle suggère un comportement spécifique, non à l'impair (4), mais à ces pièces féminines. Le moins qu'on puisse dire à ce sujet, c'est que la règle de l'alternance n'est enfreinte là au bénéfice des rimes féminines que dans l'impair. Comme si ces rimes étaient capables de discerner cette sorte de vers, qui seul les tolérerait. Trente d'entre elles sur 34 étant consonantiques, faut-il penser, comme D. Hillery, que "the terminal mute "e" can take on, if the instance demands it, almost the value of an added syllable" ? L'impair n'y aiderait pas, de toute façon, car il est exclu que cette terminaison vienne se substituer à une syllabe pleine manquante : dans l'ennéasyllabe 3+6 de l'Ariette II comme dans l'hendécasyllabe 5+6 de l'Ariette IV, le défaut à rémunérer ne pourrait être qu'à la fin du premier membre, le second constituant un groupe de six "complet". L'arrimage de la rime féminine sur l'impair ne semble donc procéder d'aucune solidarité structurelle, comme le confirme a contrario le pentasyllabe à rimes masculines de Simples fresques II. Nous avons plutôt affaire à une convergence construite, puis déconstruite à mesure que le recueil résorbe et l'impair problématique et l'excès de rimes féminines. Le principe constructif reste donc premier.
D'autre part, le cumul des marques sur les Ariettes II, IV, VIII, IX et sur Simples fresques ne paraît pas entraîner une forte individuation sémantique de ces poèmes par rapport à leurs voisins immédiats. Il est vrai que les Ariettes III et VI ainsi que Walcourt, par exemple, ont d'autres façons de manipuler l'alternance ou la rime, ce qui fausse le contraste, mais il semblerait plutôt que nous nous trouvions devant une machinerie à l'échelle du recueil, l'opposition entre les deux Simples fresques servant de révélateur, au sein d'une section de transition, à l'opposition plus vaste entre les Ariettes oubliées et les Aquarelles. Dans ce dispositif, le 12/7 féminin de l'Ariette IX fait fortement contraste avec le 12/6 masculin de Child wife, comme le manifestent de nombreuses oppositions thématiques concomitantes : miroir/négation du miroir, "espérances noyées"/exaltation de l'amour "jeune jusqu'à la mort", etc. C'est là un nouvel aspect de la construction d'ensemble mise au jour en plusieurs occasions (thèmes, mètres). N'excluons pas, cependant, que l'étude de la prosodie des rimes nous amène à nuancer ce refus de particulariser les ariettes féminines.
Ces rimes exclusivement féminines sont donc exclusivement consonantiques dans l'Ariette II et dans Simples fresques I ; dans deux autres poèmes, les rimes vocaliques restent rares : "étonnées"- "pardonnées" dans l'Ariette IV et "nuées"-"buées" dans la VIII. Seule l'Ariette IX, afin de s'organiser, y recourt pour moitié : "embrumée"-"fumée" et "feuillées"-"noyées". Le rôle des /e/ est frappant. Nous avons déjà souligné la relation existant entre les participes-desinit, "pardonnées" et "noyées" et le titre (Ariettes) oubliées : relevons également que "noyées" procède d'un thème du /vaporeux/ "embrumée", "fumée", "feuillées", bien sûr, mais aussi "nuées" et "buées", que le poème précédent mettait identiquement en rapport avec le feuillage :
Comme des nuées Flottent gris les chênes Des forêts prochaines Parmi les buées. |
La rime vocalique, parce que minoritaire, peut ainsi se constituer en sous-système au sein de la série des féminines ce qui n'exclut pas d'autres chaînes thématiques en commun avec les rimes masculines, notamment à partir du participe passé , et ce sous-système tourne au profit de la dernière ariette, qui fonde de la sorte sa propre différence interne sur quelques exceptions éparses.
Entre l'Ariette IV et la VI, pour lesquelles la "sexuisemblance" a quelque vraisemblance, la V est marquée par une prédominance des rimes masculines, due à un changement de schéma. Pourquoi cette exception dans la section ? Le premier sixain maintient l'équilibre entre les deux genres : AbAbbA, et la rime féminine (A) y semble liée au mot final, "Elle", énoncé précisément au moment où le poème révèle la disparition de la femme. Il serait tentant de mettre cette absence en rapport avec l'affaiblissement, par la suite, de la rime féminine (la seconde strophe n'associe plus que "pauvre être" et "fenêtre" le trou par où s'échappe l'air de piano, l'air où l'air se dissout). Ce d'autant que, peu après, l'Ariette VII oppose des rimes féminines "âme"-"femme" à des rimes masculines liées au "je" et au "coeur" ("consolé"-"s'en soit allé"). Cependant, tant que nous n'aurons pas analysé complètement la prosodie de ces poèmes, cette sexualisation des rimes restera une simple hypothèse.
Le dédoublement de Streets, qui rappelle celui des Simples fresques (et il s'agit encore d'une capitale : Londres), ne peut recevoir la même explication. Certes, le premier des deux poèmes, limitant la terminaison féminine au refrain, fait largement prédominer les rimes masculines ce sont les seules rimes qu'on y trouve, à proprement parler , tandis que le second, construit sur le même modèle que l'Ariette I, privilégie les féminines, mais tous deux n'en respectent pas moins l'alternance. En réalité, le contraste repose essentiellement sur la stricte séparation entre thème amoureux (I) et paysage (II), cela sur le fond d'un motif commun : la mort ("Depuis qu'elle est MORTE à mon coeur", "l'eau jaune comme une MORTE"). Le tout en rapport avec les poèmes voisins, selon une logique qui prend à contre-pied le thème du reflet amorcé dans l'Ariette IX : d'où, peut-être, l'importance accordée aux dissonances et aux paradoxes ("Elle avait des façons vraiment De DESOLER un pauvre amant Que c'en était vraiment CHARMANT", dérision de l'Ariette VII, ou "Je me souviens... Des heures et des entretiens Et c'est le meilleur de mes biens", écho de "C'est bien la pire peine" de l'Ariette III ; cf. aussi "son onde opaque et pourtant pure"). Ces poèmes bipartis sont donc moins des regroupements que des révélateurs d'antagonismes, ou de failles.
* *
Le jeu de l'heptasyllabe et de l'alexandrin confirmait l'opposition primordiale entre Ariettes et Aquarelles, mais faisait aussi une part aux Paysages belges en en éclairant la spécificité métrique. Les éléments quelque peu disparates que nous venons de collecter mais notre propos n'était pas de les articuler en une étude systématique de la versification nous ont révélé quelques oppositions ponctuelles (elles concernent avant tout l'Ariette IX et Simples fresques I), mais nous ont permis aussi de mesurer l'ampleur du contraste organisateur en établissant le rôle central des Simples fresques : la bipartition qui s'opère là semble concerner tout le recueil, car elle est le moment où l'impair cesse d'être lié à la rime féminine, où les infractions à l'alternance basculent en faveur des masculines. Le x+5 n'apparaissant qu'ensuite. Cette structuration, non plus linéaire ou cumulative (comme celle qui conduit à Malines par les incipit), mais comme symétrique ou concentrique, aboutit à faire de Simples fresques I une "ariette attardée", mais aussi à nier la spécificité de l'impair : Simples fresques II démontre que celui-ci n'est pas contraint par l'alliance qu'il avait nouée avec les rimes féminines.
N'empêche que cette association aura été : construction provisoire, démentie par le recueil même qui l'a produite, mais construction tout de même. Aucune signification propre ne semble pouvoir être attachée à l'emploi de ce mètre ni à celui des seules rimes féminines (le boiteux, le monotone, etc.). Un sens toutefois se cherche dans les glissements, dans les ruptures qui se produisent lors du passage d'un pôle à l'autre : il s'esquisse pour peu qu'on sache tenir les complémentaires tels que l'oeuvre les lie, qu'on ne rompe pas les solidarités en isolant et substantialisant un terme de versification ou de rhétorique. C'est alors que la formule si souvent citée de l'Art poétique, "l'impair Plus vague et plus soluble dans l'air", prend une pertinence nouvelle, dans ce livre qui va d'un même mouvement de l'heptasyllabe à l'alexandrin, et de l'air (Ariettes) à l'eau (Aquarelles). De l'air qui se noie à une eau devenue en quelque sorte aérienne, en tout cas qui préserve les intérêts du "haut" (Beams). La construction prépare une sémantique du mètre, non l'inverse. Et elle peut aussi l'annihiler : c'est une autre caractéristique de la signifiance de ne pas exister en dehors de l'oeuvre, à travers des catégories toutes faites, ni de sortir de l'oeuvre prête à se perpétuer indéfiniment. Il y a au plus un effet d'impair, mais pas d'impair.
NOTES
(1) La même précaution permettrait de reposer en d'autres termes le problème soulevé par N. Ruwet, dans "Blancs, rimes et raisons : typographie, rimes et structures linguistiques en poésie" (in Rhétoriques, Sémiotiques ; Revue d'esthétique, 1979, 1-2, "10/18", UGE, pages 379-426) : celui de la discordance entre strophe typographique et schéma de rimes. Si les vers à rimes plates de l'Ariette IX sont regroupées en quatrains au lieu de l'être en distiques, c'est en vertu de la coalescence différée entre le haut et le bas ; les deux faux quatrains tendent en outre à se ressouder, les voyelles à la rime se reflétant comme en un miroir. Au contraire de ce symbolon, le quatrain croisé de Spleen éclate en deux distiques ab : figure d'une rupture entre l'amour et la nature dont la dualité des Streets, immédiatement après, est une autre version. Le reflet est devenu impossible.
(2) Deux autres (Chevaux de bois et Birds in the night) se contentent d'aménager la règle, en se limitant à une alternance de strophe à strophe. Or ce sont aussi les poèmes les plus longs (28 et 84 vers de 9 et 10 syllabes). L'ampleur favoriserait-elle une forme réduite d'alternance ?
(3) L'Ariette IX, féminine, associe en effet heptasyllabe et alexandrin. Peut-on supposer que l'alternance strophique provient d'une défaillance de l'heptasyllabe, qui aurait dû rimer isolément, et du genre masculin ? A moins que ce ne soit l'alexandrin... Mais ce serait sans doute pousser un peu loin la faculté, prêtée au poème, d'improviser le schéma.
(4) Puisque l'impair peut organiser des poèmes à rimes uniquement masculines (Simples fresques II) aussi bien que des poèmes soumis à l'alternance, le point de vue du mètre est "indifférent". On ne peut donc rapprocher la "confusion" que nous évoquions à propos des pièces féminines de celle que l'impair serait susceptible de favoriser à en croire B. de Cornulier (op. cit.), d'autant que le "brouillage de la perception numérique" joue pour tous les mètres des premières sections. Un lien de nécessité ne peut par conséquent être établi que dans le sens rime-mètre.