VI. L'ARIETTE III
Cet
article a paru dans le n° 5 de la (1997), pages 77-99. Je remercie Steve Murphy de mavoir autorisé à le reproduire et jinvite vivement chacun à sabonner pour soutenir son travail éditorial et critique : voir la réclame ! |
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Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville Quelle est cette langueur Qui pénètre mon coeur ? |
Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure. Quoi ! nulle trahison ?... Ce deuil est sans raison. |
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O bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un coeur qui s'ennuie O le chant de la pluie ! |
C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon coeur a tant de peine ! |
1. " Ce piège D'être présents bien qu'exilés "
Il existe au moins une petite vingtaine d'analyses (1) , partielles ou complètes, de ce poème. Presque toutes privilégient l'organisation des sonorités, les commentateurs se laissant prendre au piège de la simplicité et de la monotonie, au détriment de la syntaxe réduite à fort peu de chose : "une syntaxe étonnamment simple", écrit M. Raymond, "quasi enfantine", surenchérit L. Aguettant. Ils font bien entendu le même sort à la signification : "ce pur impressionnisme est assez court d'étoffe", décrète Aguettant, tandis que Raymond préfère parler d'un lyrisme de l'"en deçà des sentiments et des passions", opérant "dans une zone affective plus profonde, zone d'intimité et de solitude où l'être se chante, se charme et se prend au filet d'un langage magique". La Romance sans parole, conformément à la doxa, ne parle pas : elle a partie liée avec l'ineffable ou avec sa version molle, le peu de sens. Verlaine, ici comme ailleurs, ferait la preuve que les sonorités peuvent être organisées en vue d'une désémantisation, dans un poème où le " mot-son " aurait la primauté sur le " mot-signe " (2) .
Pour tenter d'échapper à cette fatalité ou à ce ronron, nous aborderons le poème par sa syntaxe, ne serait-ce que pour marquer qu'elle pose plus de problèmes qu'on ne le soupçonne. Ce faisant, nous bénéficierons peut-être aussi du vide critique... Un seul auteur en effet s'est soucié de la grammaire de l'Ariette III : Gerold Hilty [" IL impersonnel. Syntaxe historique et interprétation littéraire ", in Le Français moderne, octobre 1959, tome 27, pages 241-251], qui interprète l'ensemble du poème comme une découverte progressive de ce qu'implique le premier mot, le "il" impersonnel :
"Verlaine lui aussi ne se rend pas tout de suite compte de la valeur négative du premier mot de sa "romance sans parole" (...) Le dernier quatrain est comme l'acceptation de ce "deuil... sans raison", la pleine conscience que le premier mot du poème est absolument vide et que derrière lui se cache le néant."
Déformation de grammairien, qui exploite un exemple littéraire en y ramenant tout le poème, mais cette déformation reflète celle d'une critique qui a outrancièrement privilégié l'incipit dans la mesure où il répondait parfaitement à une conception de la poésie comme écart. Ce n'est pas que Hilty reprenne l'idée : au contraire, il semble créditer Verlaine d'une grande fidélité à la langue, d'une pénétration qui lui permettrait de mettre au jour la valeur véritable du "il". Mais, après beaucoup d'autres, il épingle ce vers pour en faire comme le générateur de tout le poème : Verlaine écrirait quinze hexasyllabes pour tirer toutes les conséquences d'un début original ! D'autre part, Hilty oublie la tension entre personnel et impersonnel, maintenue grâce à "mon coeur" : il ne glose guère que la première moitié du vers. A la fois contre cette esthétique du poème né d'une trouvaille et contre cette métamorphose du poète en grammairien besogneux, commençons par noter que le premier vers trouve un répondant symétrique dans la dernière strophe :
C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine MON coeur a tant de peine ! |
Le quatrain est dépourvu de toute marque personnelle jusqu'au dernier vers. Là apparaît, ou plutôt réapparaît, un "mon coeur" qui jure quelque peu avec le début de la phrase, comme l'impersonnel initial jurait avec lui. Les contraintes contextuelles auraient plutôt laissé attendre l'indéterminé "son", qui aurait continué le ton de moralité impersonnelle des vers 13-15 ; ou bien il aurait fallu introduire plus haut un élément personnel, par exemple : "C'est bien la pire peine / *Que je puisse éprouver/ De ne savoir...", ou : "C'est bien la pire peine/ *Pour moi de ne savoir..." En l'état, MON surprend et il y a, sinon incompatibilité, du moins tension entre la généralisation impersonnelle qui affecte la conscience de soi et le contenu personnel de l'affect. Cette tension ne reproduit toutefois pas exactement celle qui informe le premier vers. Si l'ordre des termes est identique, le jeu des marques s'inverse. L'"écart" qui consiste à transformer "pleurer" en verbe impersonnel aboutit à souligner l'impersonnel contre le personnel ; au contraire, dans le dernier quatrain, c'est la réapparition du déterminant personnel qui est marquée, cette fois par rapport au contexte. En outre, les contraintes enfreintes et la netteté même des violations ne sont pas comparables. Mais, dans la mesure où les deux tensions font système, on ne peut se fonder sur une rhétorique de l'écart : opposer ce poème à la langue ne ferait qu'égarer en insistant sur la différence des moyens utilisés alors qu'il s'agit de mettre au jour un jeu corrélé, une symétrie un faire-retour. D'ailleurs, c'est vraisemblablement la position, et donc la composition, qui justifie le rapport d'inversion et, de là, le choix de procédés distincts l'un, instantané parce qu'imposé à la langue, pour l'incipit ; l'autre lié au contexte, et donc "préparé", pour la chute.
Faute de trouver des prises, la critique a "sous-lu" le texte. Selon Madeleine Remacle par exemple, dans le dernier quatrain, "la forme, au lieu d'être heurtée comme tout à l'heure, est d'une fluidité remarquable (...) comme une longue plainte qui se raconte spontanément, sans recherche, sans artifice." La commentatrice parle de résignation, d'abandon, de "découragement lucide et apaisé". On a confondu le "tour" (Emilie Noulet), l'"arabesque" (M. Raymond) d'une phrase unique, peu ou pas ponctuée (3), venant après une troisième strophe très coupée, avec la simplicité. Ce dont les strophes-phrases de Verlaine sont tout le contraire.
En particulier, le dernier vers prouve nettement une résistance du "moi" au "soi". Celui-ci ne l'emporte pas plus que la monotonie ou la fluidité. Les signes de conflit devraient d'ailleurs alerter dès le début du quatrain : oppositions grinçantes entre "bien" et "pire", entre affirmation renforcée ("C'est bien...") et négations ou interrogation, entre intensifs et "sans"... Marcel Raymond a certainement tort de parler d'un "ensevelissement progressif en soi, dans un " soi " qui déborde le " moi " et sa conclusion, "L'homme est décidément absent de lui-même" est malheureuse car la fin du poème rappelle plutôt celle de l'Ariette VII, qui se lit : "...ce piège / D'être présents bien qu'exilés". Le moi qu'on croyait oublié resurgit. La formule avancée par J.-P. Richard [page 178] : "Il sent sur le mode de l'anonyme, mais il se sent sentir sur le mode du particulier", doit de fait être inversée pour cette strophe. On y distingue bien deux "niveaux", la conscience de soi et le contenu de conscience, mais l'impersonnel a été en quelque sorte transféré au premier tandis que reparaît une peine "personnelle" qu'on croyait devenue impossible.
Surtout, du fait que cette dernière strophe ne comporte qu'une phrase, disparaît l'équivalence entre premier et quatrième vers propre aux autres quatrains, où les mots à la rime étaient superposables. La "peine" du vers 13 ne peut être identifiée à celle du vers final comme le "coeur" du vers 4 pouvait l'être à celui du vers 1. Ces deux souffrances simultanées se trouvent placées dans une situation de concurrence logique, exacerbée par les intensifs : le superlatif "la pire" et "tant de", dont le rapport à l'énonciation est différent, recoupant l'opposition personnel / impersonnel. La répétition est devenue un dédoublement et, en même temps, un redoublement. Echappant à sa logique du strict binaire, D. Bergez parle à juste titre d'une :
"impossibilité pour le moi de coïncider avec lui-même, d'arriver à une cohérence, à une unicité qui fonderaient son identité. (...) Le mouvement du texte est celui d'un écartèlement continu qui fait du moi le spectateur étonné de lui-même, à la fois sujet et objet de son questionnement. La quête de l'unité confine ainsi invinciblement au dédoublement..." [" Incertitude et vacuité du moi dans les Ariettes oubliées ", Revue dHistoire littéraire de la France, LXXXII, 1982, pages 412-423].
Même s'il tend à ramener cet écartèlement à un simple balancement et n'aperçoit pas le problème posé par le dernier vers, c'est aussi le seul à rendre compte de la transition de la première à la troisième strophe, de la façon dont :
"l'esprit de Verlaine s'écartèle dans une dualité de plus en plus exacerbée qui fait s'opposer deux moi distincts" ; d'une part, "ce clivage apparaît de façon manifeste (...) à travers l'alternance de séquences contrastées de constat et de réflexion" ; d'autre part, "la séparation du moi est littérale lorsqu'il se contemple à distance de lui-même ; le moi alors s'objective, et devient autre sous son propre regard. C'est ainsi que "mon coeur" devient "un coeur", puis "ce coeur", s'éloignant de lui-même à proportion de la conscience qu'il prend de sa réalité."
Précisons ce dernier point, car il permettra de contester la stabilité du "thème sonore principal", le thème en /R/.
Avec "Pour un coeur qui s'ennuie", nous quittons le personnel ("mon") pour le général. G. Guillaume (4) a montré que l'énoncé d'une pensée générale pouvait être "infléchi en direction du singulier" par l'emploi de l'article indéfini : le soldat qui déclare : " Un soldat français sait résister à la fatigue ", "a le sentiment (...) d'énoncer un jugement qui concerne sa personne", mais donne à ce jugement "la plénitude de sa force expressive en le faisant partir de loin, du général saisi à grande distance du singulier dans le mouvement qui y porte". Mais, ici, l'article n'introduit pas un terme nouveau, le singulier a déjà été posé. Tout se passe donc comme s'il s'agissait de renvoyer le personnel à l'arrière-plan. Le l'aurait éloigné sans retour, un le gomme en le gardant en mémoire. Comme souvent dans ce recueil, on ne s'installe pas dans l'impersonnel mais on constate un mouvement de dépersonnalisation, c'est-à-dire que l'effacement laisse une trace, comme dans le refoulement.
Ce changement retentit sur la façon dont la pluie est présentée. Dans "O bruit doux de la pluie...", l'absence d'article initial jointe à l'exclamation créait un effet d'"immédiateté de la sensation", au plus près de l'invocation, suggérant non un énoncé général, mais une coïncidence du dire et du dit. En outre, l'application à "bruit" de l'adjectif "doux" impliquait une sensitivité, la présence en creux d'un "récepteur". Par contraste, "Ô le chant...", sans remettre en question la simultanéité (au contraire confortée par le "pour"), semble s'éloigner de l'actualité ou du moins suspendre le rapport à celle-ci, en liaison avec l'autre article à tension généralisante, "un (coeur)", et en l'absence de verbe principal. L'ennui apparaît ainsi défini comme un moment bien spécifique où le coeur, cessant de se situer par rapport au moment de l'énonciation, détermine lui-même la situation, intemporellement. La construction en "pour" suggère même qu'il devient l'interprète de ce bruit, lui donne sens, le transforme : ce que confirme l'écho "s'ennuie"-"chant de la pluie", à propos duquel on peut reprendre l'expression de Marcel Raymond : "intériorisation subreptice des choses du dehors". La correspondance nouée dans la première strophe s'inverse en quelque sorte : à la fois conjonction de comparaison et conjonction de temps, un "de même que" en même temps qu'un "à mesure que", COMME ancrait le météorologique dans le temps du vécu, ce qui permettait de s'interroger aussitôt sur "cette langueur", mais il instituait la pluie en principe d'explication ou, à tout le moins, en référence. POUR la soumet au coeur, en en faisant un pur effet ; comme telle, elle est vouée à s'effacer.
Le moi s'éloigne de lui-même, écrivait D. Bergez. Pour Madeleine Remacle également, le vers 10 nous "montre maintenant (le coeur) avec une certaine emphase, avec un certain détachement aussi, comme un objet extérieur". Abandonnons cette idée d'emphase, car "ce" peut aussi bien suggérer le mépris : c'est l'ambivalence de l'effet de distanciation. Retenons simplement que, si on récupère la particularisation très atténuée dans le quatrain précédent, la relation au moi semble cette fois définitivement oubliée. Alors que "un" se contentait de suspendre ce rapport, "ce" le dénonce tout à fait, en liaison d'ailleurs avec un retour de "Il pleure" le coeur est mis sur le même plan que "cette langueur" qui résumait l'impersonnel en Q. I. Ce reniement, ce désaveu va en entraîner un autre : celui du coeur... par lui-même.
"Dans ce coeur qui s'écoeure" répète, en effet, à la fois des sonorités et du sens. P. Delbouille, sourd à l'effet "littéral", glose :
"Ne dirait-on pas que dans ce jeu de mots l'écoeurement est véritablement matérialisé par le son ? Outre le choc des deux mots, outre l'éclat de la rime intérieure, il y a ici comme une saturation auditive, et à laquelle, peut-être, on peut trouver un sens : ne suggère-t-elle pas cet écoeurement dont on nous parle ?"
Marcel Raymond émet une hypothèse similaire à partir d'une esthétique encore plus traditionnelle, celle du bon goût :
"Les c durs, de nouveau, marquent l'âcreté de la souffrance qui va jusqu'à une pointe de dégoût physique ; dans ce jeu de mots qu'on peut ne pas aimer (...), le charnel de l'existence s'accumule..."
L. Aguettant, pour qui Verlaine recherche la répétition presque comme une fin en soi, juge l'effet "d'un art bien rudimentaire". Nous devons, pour notre part, penser cette répétition en privilégiant le rapport sémantique qui se tisse entre les mots en cause et qui se tisse dans ce vers, dans ce discours, non dans le dictionnaire qui couperait le sens de l'étymologie ici ravivée ou détournée. Le choix d'un verbe de même radical (5) que le nom suggère une auto-négation, une expulsion de soi par soi. Ce qui rend compte d'un fait de distribution noté par Paul Delbouille : "Une fois cette saturation atteinte, nous ne rencontrons plus cette sonorité [/R/] sauf un rappel, mais discret [?], au dernier vers du poème." Et ce qui explique surtout l'allusion à une mort consommée, au vers 12 : "Ce deuil est sans raison". Il y a bien mort, mais le coeur est à la fois victime et meurtrier. En outre, comme le suggère la reprise du démonstratif, il se survit indéfiniment en s'identifiant au deuil même.
Dans ce vers 10, il nous faut donc autant tenir compte des /s/ que des /kR/ : le démonstratif de distanciation, de désaveu, se redouble du "s'é-" de l'auto-annulation, de la sortie de soi. Et ce paradigme en /s/ "attrape" aussi les négations, les deux "sans raison" qui font écho au "s'ennuie" de la strophe précédente, autre pronominal. Les deux Ariettes précédentes usaient également de ces pronominaux de sens contraires, en S'EN-S'E(X) ("Cette âme qui se lamente En cette plainte (...) C'est la nôtre (...) Dont s'exhale l'humble antienne" et "Que s'en vont, cher amour qui t'épeures") (6) mais, couplés dans une strophe-phrase, ils y participaient de l'escarpolette ; ici, ils se contentent de travailler séparément en liaison avec le même "coeur", préparant toutefois l'écartèlement final et s'opposant à la fin du premier quatrain ("cette langueur Qui pénètre mon coeur"). L'"infiltration" dont parle Paul Delbouille n'est en effet que provisoire. Le vers "Par terre et sur les toits" dédouble "sur la ville", comme "sans raison" se dédoublera, dans la deuxième partie, en "Sans amour et sans haine". Cette précision, en apparence gratuite, n'a d'intérêt que par ses implications "en creux" : elle suggère un vide, un lieu résiduel maison, chambre, peu importe, un retranchement où se tient le moi, le coeur. Et c'est sans doute d'ailleurs à cette suggestion par le négatif que nous devons le retour de "coeur". Le phénomène ne se reproduit-il pas dans Green :
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, Et puis voici mon coeur..., |
où le coeur remplace comme l'envers l'endroit le tronc effacé mais qu'appelait l'énumération régressive ? Réapparaît ainsi un coeur autre, moulé dans le vide ménagé par la pluie elle-même transformée en retour, intériorisée et non plus susceptible de s'introduire.
Si nous considérons le paradigme des constructions relatives, nous constatons d'ailleurs que "coeur" prend la place de "langueur" en position d'antécédent-sujet, tandis que le verbe pronominal lui permet de se maintenir aussi en position d'objet :
"cette langueur / Qui pénètre mon coeur" (vers
3-4) "Pour un coeur qui s'ennuie" (vers 7) "Dans ce coeur qui s'écoeure" (vers 10) |
"S'ennuie" équivaut à un "se pénètre de langueur" et intègre ou annule l'idée de mouvement venu de l'extérieur. Est-ce à dire que le coeur se referme sur lui-même, qu'il devient le champ clos de l'ennui au point de se confondre avec celui-ci ? Il est clair en tout cas que "s'ennuie", entre "pénètre" et "s'écoeure", a à voir avec de l'"interne pur". La question des vers 3-4 est ainsi répudiée, plutôt que biffée. Evolution peut-être, mais surtout discontinuité des saisies.
Le troisième moment (vers 10) consistera à inverser le mouvement centripète en mouvement centrifuge, mais "S'E(coeure)" n'est pas séparable du "DANS", avec lequel il entre en tension : non effusion, mais retournement de soi contre soi, sur soi. L'intime est une mise hors bande de Möbius ? On pourrait ainsi considérer les trois premières strophes comme des variations sur le rapport entre dehors et dedans : après une nette distinction en Q. I, où tout laisse supposer une intrusion, après l'inscription en négatif de Q. II (vers 6), qui semble permettre au coeur de se soumettre la pluie, nous avons en Q. III, une fois la pluie disparue, un espace qui tend à la révulsion, un espace interne-externe indissociablement.
Le retour final du possessif n'a donc pas été préparé par le glissement à l'oeuvre dans les strophes centrales. Celui-ci contribue au contraire à accentuer la surprise, en éloignant du moi, en mettant l'intime dans un dehors vacant. En revanche, les vers 13-15 tiennent fortement compte de ce qui précède : ils reprennent l'assertion impersonnelle ("C'est"), la généralité ("la pire peine"), les questions et les négations, qu'ils superposent. La conscience de soi hérite ainsi de tout ce qui a pu nous éloigner de "mon coeur" et le "ce" de distanciation, en particulier, la préfigurait nettement. D'où, pour finir, une exaspération de l'écartèlement entre personnel et impersonnel, entre affect et conscience de soi.
Le parallélisme des deux "peine" dans le cadre de la phrase-strophe produit en effet certaines interférences difficiles à débrouiller. L'ignorance impersonnalisée de ce qui provoque la peine est, à son tour, transformée en douleur, le chagrin se transmet à la conscience de soi : seule information réellement nouvelle donnée par Q. IV. Cependant, alors qu'on pouvait la croire oubliée, la peine "personnelle" vient à nouveau résonner à travers l'échafaudage des niveaux psychologiques et des niveaux d'énonciation : l'impersonnel qui reprend en charge la douleur, au lieu de l'éloigner, n'aura servi qu'à la ressusciter, en écho. Quelle est alors de ces deux peines la plus importante, ou la plus grave ? Celle du vers 13, qui ressuscite peut-être la souffrance initiale à moins qu'elle n'en soit la transformation, ou celle du vers 16, logiquement première mais tenue subordonnée ? Question sans réponse : la répétition dans des contextes irréductiblement distincts (parce que l'unité de syntagme comme la dualité du rapport à l'énonciation interdisent toute superposition) fait à la fois un "dédoublement" et un "redoublement", chacun des termes tend à exclure l'autre tout en y renvoyant indéfiniment : tourniquet, tension au second degré, entre le moi rétabli et le moi divisé. Concurrence, avons-nous écrit tout à l'heure en insistant sur la différence du rapport à l'énonciation entre "la pire peine" et "tant de peine". Même si "tant de" a l'air de faire monter les enchères, le superlatif continue de l'emporter on peut d'ailleurs se demander s'il ne faut pas plutôt lire dans "la pire peine", par récurrence, un comparatif du genre "Le gros soldat, la plus grosse bonne" (Chevaux de bois, vers 5). La conscience de soi n'en finit donc pas d'englober, de déborder la douleur personnelle. Celle-ci, si fort que surprenne son retour, ne peut abolir l'autre mais elle a le dernier mot. La leçon de cette Ariette comme d'autres pourrait être celle-ci : l'impersonnalisation, si loin qu'on la pousse, ramène toujours au moi, obligeant le sujet à constater qu'il est pris dans une contradiction insoluble.
2. Le schéma des rimes : une forme-sens
Le schéma des rimes est la forme qui convenait parfaitement à ce tourniquet logique peut-être même la strophe IV la réalise-t-elle mieux que les trois autres, comme si son organisation sémantique était contenue en germe dans la disposition ABAA. On ne peut en effet se contenter d'analyser cette structure à partir d'un simple comptage : trois rimes A, la monotonie ; une seule rime B, la musicalité (7). Mais on ne peut non plus, comme P. Guiraud, y voir un effet de "déception presque généralisée". Situant l'écart au quatrième vers porte-à-faux d'un "tac-tic-tac-tac", insuffisance d'une rime qui ne résout pas l'attente ouverte par le deuxième vers, superfluité d'une simple répétition de mot , il considère que cette défaillance réactive toutes les attentes d'un lecteur de quatrains passablement abstrait. Presque toutes les rimes seraient en effet frappées de suspicion, car chacune s'écarterait de l'un des schémas possibles : la quatrième du schéma croisé ABAB, la troisième du schéma embrassé ABBA, la seconde d'un schéma monorime AAAA. Verlaine ne produirait que de l'incertitude, il aurait réussi à déstabiliser tous les schémas à la fois, "aucun des mots (à la rime) n'est à " sa " place".
Mais, pour le lecteur, tout est parfaitement régulier jusqu'à la fin du troisième vers comprise : il a affaire à des rimes croisées. Les choses ne se "gâtent" qu'avec le quatrième vers. Toutefois, comme aucune rime n'existe isolément, hors d'un schéma, il s'ensuit que le retour de A ne peut être interprété en termes de défaillance d'une structure, mais de conflit entre (deux) structures. De quel schéma relève donc ce quatrième vers ? Dans la mesure où il renvoie avec force au vers initial, ce ne peut être que d'un schéma de rimes embrassées. Le quatrain en ABAA résulterait alors de la superposition de deux schémas ABAB et ABBA ou, pour mieux dire, de leur imbrication. Il n'existait d'ailleurs aucun autre moyen de construire celle-ci : le schéma croisé ne peut s'imposer qu'en trois vers (AB-- est équivoque) tandis que l'effet de cadre, de clôture est essentiel à la perception du schéma embrassé : d'où la nécessité pour celui-ci de "prendre" le dernier vers. Une formule ABBB, construite selon le même principe mais à commencer de la structure embrassée, n'aurait été rien moins que convaincante en raison du triplement de la seconde rime. L'ordre ici choisi était donc le seul possible.
Construit par la superposition mais, dans le temps de la strophe, c'est plutôt de substitution ou de modification qu'il faudrait parler , le quatrain en est entièrement informé : c'est-à-dire qu'il n'existe pas de défaillance identifiable, de vers entaché d'une faute de versification ou dont la définition soit négative. "Ville", "toits", "s'écoeure" et "pourquoi" ne sont pas des "rimes orphelines absolues" comme le soutient Jean-Louis Aroui, mais des rimes à part entière, dans la mesure où elles participent d'un schéma bien attesté (en trois vers) ce qui n'exclut pas certains effets secondaires, tel l'isolement prosodique de ces deuxièmes vers, mais ce qui les relativise. Aucune attente n'est véritablement déçue, puisque celle d'une deuxième rime B est compensée par la force avec laquelle s'impose le retour, non de la rime A, mais de tout le mot à la rime : la répétition de "mon coeur", de "de la pluie", de "sans raison" et de "peine", loin d'être une faiblesse, se justifie de cette substitution d'attente.
Ce qui concorde avec notre analyse syntaxique-sémantique du dernier quatrain : le vers 16 crée bien la surprise, mais ce n'est pas un pur écart, il s'intègre à un schéma complexe imposé par la strophe. D'une part, il renvoie au premier vers de celle-ci, à la "pire peine", obligeant à relire, à reconstruire tout ce quatrain. D'autre part, reprenant le "mon coeur" initial, il est le moment où le poème tout entier se referme sur lui-même. Cette structure de clôture réalise le paradoxe de l'autre et du même, confondant la surprise et le retour. La rime n'était pas programmée, mais elle fait tout de même son schéma. D'où les interférences que nous avons notées tout à l'heure, et l'absolue nécessité de ne pas isoler la réapparition du personnel, de tenir la tension personnel-impersonnel, homologue de la tension entre les schémas de rimes ainsi intriqués.
On peut même se demander si cette organisation ne structure pas l'ensemble des strophes. L'explication en serait simple : la deuxième développe le vers 2 ("Comme il pleut sur la ville") ; Q. III répond par le "sans raison" à l'interrogation contenue dans le vers 3 et Q. IV reprend, avec "peine", les sonorités du vers 4 ("pénètre") tout en ramenant "mon coeur" comme le faisait ce même vers. De plus, ce dernier quatrain explicite la tension dont est porteuse la quatrième position du schéma ABAA : d'où son importance dans la structure du poème, contrairement à ce que suggèrent toutes les analyses traditionnelles.
Ce caractère extemporané, ad hoc, de la formule strophique se retrouve ailleurs : par exemple dans l'Ariette VIII. Disposant de façon globalement symétrique (ABCBDA) ses quatrains en majorité embrassés, conformément à la structuration du paysage (plaine / ciel / "entre-deux" (arbres) / ciel / "entre-deux" (animaux) / plaine), elle comporte malgré tout un moment "croisé", autour des strophes B elles-mêmes croisées. De même le deuxième sixain de l'Ariette V rompt avec le schéma premier, ababba, sur le mot "incertain"... Si, à ces atteintes au principe de récurrence du schéma, on ajoute les "apparentements" violant le principe de différenciation ou d'individuation qui garantit l'équivalence abstraite entre rimes ou strophes (a ¹ b ¹ c et abba ¹ cddc), il apparaît bien difficile d'analyser la versification en dehors du poème. Mais l'entreprise est totalement exclue pour ce qui est de l'Ariette III : nulle part ailleurs le schéma abaa n'existe avec cette valeur. Une forme-sens a pris la place d'une forme prédéterminée, et l'énonciation a trouvé prise sur la versification.
3. De la similitude à l'opposition :
Le poème s'organise en outre, de façon assez claire, en deux parties égales : le vers 5, reprenant "Il pleure (...) Dans (mon) coeur...", marque un faux recommencement, substituant à la comparaison avec la pluie une sorte de paraphrase par expansion qui semble gonfler le vers 1 travail de l'interne qui occupe le champ de l'externe. Ce partage par moitié fait apparaître l'homologie entre "sur la ville"/"Par terre et sur les toits" et "sans raison"/"Sans amour et sans haine" (8) et souligne en même position l'assonance entre "toits" et "pourquoi". Mais on le constate aussi dans la thématique des vers isolés par la rime "unique" : les deux premiers sont consacrés au plus extérieur même pas à la pluie, mais à la ville :
"Comme il pleut sur la ville" "Par terre et sur les toits" |
Lorsqu'ils se lisent ensuite :
"Dans ce coeur qui s'écoeure" "De ne savoir pourquoi", |
on peut penser que cette extériorité s'est déplacée, qu'elle s'est transmise au moi, devenu opaque à lui-même. Cependant, cette rime isolée est avant tout une rime abandonnée : de même que le poète, trop occupé de son coeur, se détourne de la ville, il se détourne à partir du vers 10 de ce coeur, annulé. Et le vers 14 est peut-être celui qui réalise le mieux toutes les implications de la construction strophique, comme s'il en était l'accomplissement ou la justification : en raison de la substitution de schéma plus que de la construction de la phrase (et, a fortiori, de la ponctuation, inexistante), c'est une question en suspens, une question sans réponse liée à une rime sans écho. Nous découvrirons tout à l'heure quel lien étroit entretiennent en outre "Dans ce coeur qui s'écoeure" et "(De ne savoir) pourquoi".
Mais la division du poème va aussi de pair avec une nouvelle organisation des finales de vers. Il pleure dans mon coeur est la seule ariette qui, respectant strictement l'alternance masculines/féminines, exploite toute la variété des rimes possibles. Une réserve cependant : le constat concerne la rime triple, non la rime isolée. Celle-ci se borne à l'opposition polaire la plus courante compte tenu de la relative rareté des terminaisons féminines vocaliques et masculines consonantiques une opposition qui, pour être secondaire, n'en joue pas moins un rôle dans l'organisation des Ariettes I et V, par exemple.
Q I | coeur-langueur | M Cs | ville | F Cs |
Q. II | pluie-s'ennuie | F Voc | toits | M Voc |
Q. III | raison-trahison | M Voc | s'écoeure | F Cs |
Q. IV | peine-haine | F Cs | pourquoi | M Voc |
Ici, ville et s'écoeure, toits et pourquoi ont donc les mêmes caractéristiques et cela détermine deux parties encore, mais des parties qui ne seraient des copies l'une de l'autre (ab/ab) que si on faisait abstraction du rapport à la rime dominante. En effet, dans les deux premiers quatrains qui disent une ressemblance ou une "convenance" entre le coeur et la pluie, ces rimes sont consonantique ou vocalique comme la rime triple ; en revanche, dans les deux derniers, elles sont avec celle-ci dans le même contraste bipolaire qu'entre elles. On aurait donc une moitié "homogène" et une autre où les rimes s'opposeraient, comme s'opposent le coeur et la raison :
Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure. Quoi ! nulle trahison ?... Ce deuil est sans raison. |
puis AMOUR et HAINE, BIEN et PIRE, sans oublier les deux PEINE. POURQUOI rappelant RAISON et S'ECOEURE annonçant PEINE, il pourrait n'y avoir en fait qu'une seule organisation dans cette deuxième partie, la dominance seule s'inversant.
Le partage du poème se fait aussi par la rime "seconde", si discrète qu'on l'oublie souvent : langueur et s'ennuie d'un côté, trahison et haine de l'autre. Plutôt que d'une gradation des termes de la tristesse, suggérée par quelques-uns, il nous semble qu'on pourrait parler d'une exacerbation, une fois la pluie éliminée : LANGUEUR, S'ENNUIE / S'ECOEURE, DEUIL, LA PIRE PEINE, TANT DE PEINE (on mettra IL PLEURE, répété, hors jeu). C'est à partir du moment où il est réduit à lui-même que le sujet souffre vraiment. En revanche, les deux premières strophes sont placées sous le signe de la douceur : par O BRUIT DOUX et, auparavant, par l'épigraphe ("Il pleut doucement sur la ville.// Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville Doucement").
Nous nous en tiendrons là pour le système de rimes. Pour parler sérieusement de ce qu'on a appelé des "rimes internes" comme des échos qui atténuent l'isolement des rimes "uniques", nous pensons qu'il faudrait préalablement réfléchir à la relation, au moins dans ce recueil, entre rimes et assonances. Car, dans tous ces cas, Verlaine semble soigneusement associer une terminaison masculine et une terminaison féminine : pleure-coeur, bruit-pluie, il-ville, coeur-s'écoeure, à moins que ce ne soit la graphie (toits-pourquoi) qui évite la confusion avec la rime. L'on ne voit pas par ailleurs que les assonances dans le vers affaiblissent la rime : aucun commentateur à notre connaissance n'a ressenti un amoindrissement des accents frappant le premier COEUR et (QUI s'E)COEURE et, de plus, l'accent secondaire du vers ne se trouve ni sur BRUIT ni, bien sûr, sur IL, comme cela aurait dû être le cas s'il y avait concurrence... L'étude pourrait peut-être partir de ces vers où l'assonance se greffe sur la rime, multipliant une voyelle en fin de vers ("fin refrain incertain" dans l'Ariette V, "doucement s'ensanglante" et "monotone" dans Simples fresques...).
4. Contre la monotonie
S'agissant de la prosodie, la thèse largement dominante est celle de la monotonie, que Cuénot, on l'a vu, fait remonter au triplement de la rime. Grammont la place en outre dans "la répétition des mêmes voyelles à l'intérieur des vers et à la rime". Marcel Raymond parle d'une :
"qualité particulière de monotonie (...), où s'opposent et se fondent musicalement les diphtongues [sic] sourdes et sombres, qui ouvrent le poème et l'achèvent, et les voyelles aiguës qui transfigurent la deuxième strophe. La tonalité mineure, répondant aux nuances du gris, est répandue partout et sans défaillance."
C'est une monotonie où les premiers mots ont forcément raison : "Il suffit donc à Verlaine de répéter le mot "coeur" dans un contexte affectif semblable (...) et même simplement de reprendre la voyelle //, pour que soit évoqué tout le halo sentimental du premier vers", écrit E. Zimmermann, pour qui la répétition "est venue se confondre tout à fait avec l'allitération". Mais, puisque nous avons tiré "Dans ce coeur qui s'écoeure" vers la négation du même par le même plutôt que vers l'accumulation ou la saturation et que nous avons souligné la dissimilation opérée par l'énonciation entre les différentes occurrences de COEUR (9), nous persisterons dans cette voie, posant que les similitudes sont d'abord un travail de la différence, y compris et surtout lorsqu'il s'agit de répétitions.
Les auteurs que nous venons de citer se partagent en revanche entre partisans d'une écriture consonantique et partisans d'une écriture vocalique. Paul Delbouille attribue la première thèse à Grammont, la seconde à G. Michaud mais les filiations Grammont-Cuénot-Soulié et Michaud-Zimmermann montreraient une accentuation progressive du clivage. Nous nous garderons de trancher à ce stade, mais l'insistance sur les seules voyelles nous paraît plutôt servir le discours de la répétition tant celles qui sont signalées essentiellement [] et [ÿi] sont liées à un petit nombre de mots déjà marqués par la rime ou l'accent. Ainsi pour le thème principal selon G. Michaud, celui des // qu'il subsume sous la rubrique "complainte mélancolique" ; à moins qu'on ne tienne compte de l'énonciation, cette chaîne vocalique qui répète "pleure" et "coeur" à raison de huit occurrences sur dix, n'a d'intérêt qu'à la marge : par "langueur" le problème serait de savoir quelle autonomie ce terme qui fait à lui seul la chaîne des /g/ peut avoir par rapport à la chaîne des /k/ et par "deuil" qui, dans le troisième quatrain, se distingue des autres termes de la chaîne précisément pour dire la mort (provisoire) du "coeur", pour tirer les conséquences de l'"écoeurement"
Selon G. Michaud, le rapprochement des deux mots PLEURE et COEUR "constitue la trouvaille du premier vers et le leitmotiv de tout le poème", il dégagerait le thème dominant, celui de ces // qui apparaît "uniquement sur les temps forts et à la rime". Mais les chaînes, à la différence des thèmes de Michaud, n'ont d'autres unités que problématiques : elles se bornent à fournir des indications sur les éléments en interaction. Nous formerons plutôt l'hypothèse que, dans le premier vers, l'écho en /R/ a pour première fonction de rapprocher impersonnel ("il pleure") et personnel ("mon coeur"), de motiver un rapport qui ne va pas de soi, de naturaliser en quelque sorte, en travaillant à la jonction entre contradiction et évidence en transformant l'une en l'autre. Les /R/ détourneraient de l'opposition entre "il" et "mon".
Nous avons déjà relevé que, dans la série des "coeur", les déterminations grammaticales jouaient un rôle essentiel : la même démonstration peut être faite à propos du "il" impersonnel. Ruwet a remarqué que le premier vers pouvait être ambigu, "Il pleure dans mon coeur" ne se distinguant pas, après tout, de "Il pleure dans mon gilet". L'épigraphe a peut-être commencé à lever cette ambiguïté, mais c'est le vers 2 qui dénonce le premier "il" comme impersonnel, qui le fait advenir : le début de la pièce est informé par un contre-rythme prosodique en /il/, qui finit par s'installer sous l'accent, dans "ville" :
"IL pleure dans mon coeur Comme IL pleut sur la vILLe" |
S'il y a donc un patron dans ces deux vers, un générateur prosodique, il est au moins double en /i/ et en //, soutiendraient les amateurs de thèmes vocaliques, mais mieux vaudrait, à la rigueur, parler de deux "thèmes" d'accent et de rime : l'un établi, doté des caractères de l'évidence ; l'autre qui s'établit quand se découvre le sens impersonnel.
Le lien entre les vers 1 et 2 se fait aussi, sous le contre-accent prosodique, par l'écho inversé "dans Mon Coeur/ CoMMe". A la fois comparatif et temporel, comme apparaît inséparable du possessif, de la parole à la première personne. Le deuxième vers apparaît ainsi sortir du premier comme son envers. L'impersonnel il pleut se trouve de cette manière arrimé au temps de l'énonciation, mais en c'est peut-être aussi grâce à cela que "pluie" et "coeur" pourront échanger leur place dans le quatrain suivant, en liaison avec POUR.
On le voit, la prosodie de ces deux vers ne peut se réduire à du parallélisme. Il faut y ajouter le temps de l'émergence de l'impersonnel, et cette suggestion d'inversion que nous retrouverons bientôt.
On ne peut, d'autre part, à la suite de Grammont, tenir pour un donné la "combinaison" des occlusives, qui unifierait la pièce, de la peinture de la "pluie physique" à celle de la "pluie morale". Quant à ceux qui invoquent la fréquence, ils ont mal compté. L'Ariette III ne rassemble guère plus d'occlusives que la moyenne des poèmes du recueil et si le nombre des /p/ et des /k/ y est étonnamment élevé (la proportion est à peu près double de la moyenne pour le premier phonème et, pour le second, l'écart avoisine 75 %), la différence est presque entièrement compensée par la faiblesse des /b/ et des /g/. Cette sorte de réaménagement interne et le fait que le poète, nous allons le voir, travaille ensemble la sonore et la sourde, tendraient à prouver que la prosodie n'est pas "coextensive" à la phonologie d'un texte, qu'elle ne s'apparente pas à une redistribution de l'ensemble des sons de la langue. C'est un travail beaucoup plus circonscrit et, si nous étudions nous-même les chaînes de phonèmes, c'est d'abord et surtout pour disposer, non d'un principe d'explication, mais d'une énumération exhaustive des possibilités de relations on ne sait a priori jusqu'où celles-ci peuvent s'étendre et mieux vaut par conséquent faire apparaître les limites de l'analyse que de se livrer à des prélèvements partiels.
Après le vers 1, la distribution des /p/ et des /k/ devient vite complémentaire. Les premiers l'emportent en Q. I, où ils se renforcent de l'appoint du seul /g/, ainsi qu'en Q. III. En revanche, dans cette dernière strophe, les /p/ se réduisent à un rappel du premier vers ("Il pleure") alors qu'ils dominent en Q. II et en Q. IV, là aussi appuyés par "leur" sonore. Grossièrement, l'alternance des positions fortes et faibles détermine un schéma croisé (10) : /k p k p/.
Q. I |
Q. II |
Q. III |
Q. IV |
|
/p/ | 3 |
4 |
1 |
4 |
/b/ | - |
1 |
- |
1 |
/k/ | 5 |
2 |
4 |
2 |
/g/ | 1 |
- |
- |
- |
Commençons par le /k/. La première strophe associe des "mots-outils" à coeur, selon un contre-rythme bien structuré : tout se passe comme si le contre-accent prosodique du vers 1 au suivant déterminait une série d'attaques de vers :
Il pleure dans Mon Coeur CoMMe il pleut sur la ville Quelle est cette langueur Qui pénètre mon Coeur ? |
sorte d'anaphore qui lie le coeur et la recherche de l'explication. Guy Michaud l'a d'ailleurs noté : "Le thème en /k/ enferme le poème dans un réseau d'analogies et de correspondances subtiles : comme, coeur, s'écoeure ; le soumet à l'insistance d'une interrogation : quelle (qui), quoi, pourquoi".
Le phénomène est analogue dans l'Ariette VII, où les six COEUR se lient à CONSOLE-EXILES, mais aussi à A CAUSE DE (deux fois), à BIEN QUE ou ENCORE QUE (six fois) et à un QUE interrogatif. C'est ainsi encore que CAR est souvent solidaire de COEUR :
"Son COEUR ne se tient pas de joie, "CAR votre COEUR doit être indifférent" (Birds, vers 8) "CAR vous avez eu PEUR de l'orage et du COEUR" (Child wife, vers 13). |
Chaîne qui est donc celle de la tentative d'élucidation en acte ou du constat d'opacité. Cependant, le mot COEUR ne fait pas que générer une anaphore prosodique-syntaxique, enchaînant comparaison et interrogation. Le contre-accent enjambant : "... dans Mon Coeur / CoMMe..." s'accompagne, on l'a dit, d'une inversion : /m-k'/ - /k-m/, qui se reproduit au vers 3, sous la forme /k-l/ - /l-g'/, "QUeLLe est cette LanGUeur", de sorte qu'on retrouve la rime, sur laquelle se greffe un nouveau contre-accent prosodique : "... lanGUeur / QUi pénètre..." On a ainsi une continuité de "mon coeur" à "mon coeur", fondée sur la solidarité entre la syntaxe et les substantifs du psychologique (et peut-être symbolisée par l'absence du point dans le manuscrit).
Dans les deux strophes suivantes, le relatif continue le schéma du contre-accent prosodique simplement le coeur se substitue à la langueur, en devenant l'agent de la peine en même temps que son support :
"cette lanGUeur / QUi
pénètre (vers 3-4) |
Les /s/ et les quatre /k/ du quatrain s'épaulent d'ailleurs dans ce dernier vers, qui enjambe sur le suivant par un dernier contre-accent prosodique, à la limite du contre-accent rythmique :
"Dans ce coeur qui s'écoeure./ Quoi ! nulle trahison ?" |
Ces deux concentrations de /k/, "pour un coeur qui" et "qui s'écoeure. Quoi !" conduisent au dernier terme de la chaîne (il faut en effet faire abstraction du "mon coeur" final, à ce moment "impossible") : POURQUOI, écho renversé de COEUR vidé de sa voyelle figure du "coeur écoeuré". L'on comprend alors que ce vers 14 forme assonance en /wa/ avec "Par terre et sur les toits", autre vers du "creux" isolé par la rime. La dramatisation par les consonnes semble le fait, décidément, de la chaîne du coeur : mise en scène de l'énigme.
Dans le premier quatrain, les /p/ le cédaient à peine aux /k/. Ils étaient, eux, liés à des verbes uniquement : PLEURE, PLEUT, PENETRE. Le troisième, translation de la préposition "dans", est en quelque sorte aussi un tiers terme logique : il règle les relations entre l'interne et l'externe. Mais, alors que "mon coeur" est ensuite retravaillé par les verbes des relatives ("s'ennuie", "s'écoeure") qui abolissent le personnel et le coeur lui-même, la chaîne des /p/ va de IL PLEURE à PEINE, qui devient ainsi comme le déverbal de "pleurer", sur le modèle de IL PLEUT / LA PLUIE. PENETRE est encore le terme qui assure la transition prosodique entre ces deux extrêmes, tout en motivant peut-être PEINE comme signifiant d'une tristesse qui a tout envahi. Ce jeu entre verbes et substantifs commence d'ailleurs dès le vers 3 : "(cette) langueur Qui pénètre mon coeur" ressemble fort à une nominalisation de "(Il) pleure dans mon coeur". On peut le repérer encore dans le troisième quatrain, de "Il pleure sans raison" à "Ce deuil est sans raison". Transformation d'un procès en destin ? Complémentarité avec le paradigme de "coeur" soumis à l'évolution inverse ? L'effacement du verbe, plus que le passage au substantif, apparaît en d'autres endroits du recueil comme la forme grammaticale du piège où l'on se prend...
Dans le cadre de l'organisation croisée et contre les strophes I et III qui commencent par "Il pleure...", les strophes II et IV ont en commun d'utiliser un /b/ pour amorcer la chaîne des /p/ : "O BRUIT doux de la PLUIE", "C'est BIEN la PIRE PEINE". Dans ce dernier cas, il y a glissement de la semi-consonne /j/ à la voyelle /i/ ("bien" > "pire") et dénasalisation de la voyelle /ê/ "libérant" la consonne /n/ ("bien" > "pire peine"), de sorte que "pire peine" semble sortir de "bien" : petite ironie sans doute, et qui ne détonne pas dans cette strophe, mais surtout renforcement de l'assertion par un mot qui, par avance, la contient. L'adverbe d'affirmation, l'intensif, devient de la sorte un performatif prosodique.
Le phénomène est très semblable au début du deuxième quatrain : "O bruit doux de la pluie...". La séquence se développe à partir d'un double contre-accent (succession de trois longues), très proche du "cri doux" de l'Ariette I. Mais celui-ci était très certainement un oxymore prosodique-sémantique, alors que "O bruit doux" se rapproche déjà du "doux chant badin" de l'Ariette V. Cette mise en série éclairerait-elle le passage, dans ce poème, de bruit à chant ? D'autre part, alors que la première ariette exploite l'opposition vocalique /i/-/u/, celle-ci utilise, comme générateur, la séquence consonantique /br'd'/ : desserrée et assourdie en /p-(r)-t/, elle donne naissance à "... de la pluie Par terre et sur les toits". Si donc l'on peut "entendre" dans ces consonnes le bruit de la pluie (un "crépitement", dit Cuénot, tandis que Grammont parle d'une "peinture" de la "pluie physique"), c'est bien parce que les deux mots y sont, pris dans cette construction prosodique, non par une vertu propre des occlusives. Cependant l'intercalation de bruit portait à cette méconnaissance : elle vaut interprétation par avance de pluie.
Ces deux débuts de strophe soulèvent au moins deux questions : d'abord celle du lien à établir, ici comme avec COEUR et LANGUEUR, entre sourde et sonore. Elle se pose par exemple à propos du commencement absolu du recueil, "C'est L'eXStaSe LanGoureuSe" (/l-kst/ - /l-g--z/), mais aussi, avec une bien plus grande ampleur, à la rime, en position d'appui. Toute interprétation requerrait d'analyser préalablement l'ensemble des contextes où cette corrélation est susceptible de jouer : nous nous bornerons donc à signaler le problème.
La prosodie en chaînes et en séquences à perpétuellement recroiser interdit, avons-nous posé, d'identifier un thème, vocalique ou consonantique. Ses seules unités sont des variables. Ainsi ne peut-on opposer une strophe en // ou /R/ à une autre en /ÿi/, surtout si l'on prend au sérieux le rapprochement que fait Morier entre l'apophonie, phénomène de langue (plein-pleine, boeuf-boeufs, meurt-mourons et, ici, pleure-pluie) et un certain nombre de paronomases, dont précisément l'apophonie "symbolique" pleure-pleut. Le poème même pousse à établir cette relation : la modification de timbre du verbe "pleut" au substantif "pluie" confirme en quelque sorte celle, plus limitée mais de même sens (fermeture) qui opère en amont, sous l'effet du parallélisme, de "il pleure" à "il pleut". Il serait étrange qu'on utilise l'une pour construire la similitude "il pleure"/"il pleut", et l'autre pour annihiler le rapport entre un verbe et son substantif, sous prétexte que le son /i/ ferait sens par lui-même. L'apophonie construit une transition, au rebours de ce qui se passe dans la strophe suivante où rimes et assonances opposent coeur et raison. La différenciation ne peut selon nous venir que de trois éléments : de l'inversion [ilpl-]/[pl.i], qu'on pourrait mettre en relation avec toutes celles qui opèrent dans le même contexte (autour de COMME et de POUR notamment) ; de la grammaire, s'il est vrai que la transformation verbe > substantif fait sens dans la chaîne en /p/ ; enfin et surtout, de l'interpolation de "bruit" et la séquence en [br'd'/ p-rt'r---t'].
Dans ce système prosodique "dérivé", après bruit et pluie, s'ennuie occupe logiquement la même position que LANGUEUR après PLEURE-COEUR-PLEUT. A l'interversion des verbes et substantifs près. A la différence de LANGUEUR aussi, il s'inscrit dans un desserrement de l'allitération issue de "O bruit doux" : ce troisième quatrain, qui semble un moment construire ses attaques de vers en /p/ comme le précédent le faisait en /k/ ("Par terre et sur les toits ! Pour un coeur..."), dénonce finalement le schéma. Puis ce sont les accents qui se desserrent : comparons par exemple "O bruit doux" et "O le chant", et voyons l'écho distendu : "s'ennuie" / "chant de la pluie" (11). Peut-être cet affaiblissement était-il programmé dès les contre-accents initiaux, où DOUX étouffait déjà BRUIT. Mais le rapport de ce CHANT à la Romance sans parole, à l'Ariette oubliée se joue surtout dans les échos suivants : les quatre SANS. Comme si la sensation auditive libérait la négativité, révélait l'absence de sens. Ce qui n'implique certainement pas que le poème la mime. On replacera aisément dans cette chaîne en /s/ le démonstratif et le réfléchi de "Dans ce coeur qui s'écoeure" : notons simplement une convergence avec celle en /n/, autre chaîne de la négation ("nulle", "ne") qui travaille souvent à proximité immédiate ("s'ennuie", "de ne savoir") et se concentre pareillement en fin de poème ("peine", "haine", "ne savoir", "peine"). S'ENNUIE se trouve ainsi à l'origine de deux négations, SANS et NULLE...
En travaillant ensemble des substantifs et des termes grammaticaux pour le dire court , la chaîne organise à la fois du sens et de la syntaxe : MON COEUR et COMME, COEUR et POURQUOI, S'ENNUIE, CHANT et SANS, IL et VILLE... Apparaissent alors des noeuds de signification auxquels on n'avait guère songé jusqu'ici : S'ENNUIE et ce POURQUOI qu'on se contentait de faire "rimer" avec TOITS... sans raison autre que la cohésion d'une prosodie réduite à l'organisation des rimes et à leur force ou à leur faiblesse, mais qui est bien plutôt le pivot de la strophe finale, le point de résistance maximale rencontrée par une subjectivité qui tente de s'expliquer à elle-même. Cette revue des chaînes demeure inachevée. Nous espérons qu'en dépit de son incomplétude, elle aura démontré qu'il n'y a pas de substance sonore qui puisse prévaloir contre la signifiance et ses glissements. Mais le principal acquis demeure pour nous l'exploration d'un système de rimes original et de ses implications. L'imbrication de deux schémas renvoie à l'énonciation, obligeant à parler ensemble de la versification, du sens et de la syntaxe. Verlaine ne "suit" pas la montée de l'impersonnalité : il s'aperçoit que parler (de) la plainte la dédouble, qu'explorer l'impersonnel en soi ramène au personnel, les deux se nouant dans une contradiction qui est, à ce stade, sa définition du clivage du sujet.
(1) Voici, approximativement dans l'ordre de publication, les analyses auxquelles nous avons fait référence :
- M. GRAMMONT, Le vers français, Ses moyens d'expression,
son harmonie, 4° édition revue et corrigée, Delagrave, 1937, pages 365-367
[1° édition : 1904].
- L. AGUETTANT, Verlaine, "Le Bonheur de Lire",
Cerf, 1978 [Aguettant est mort en 1931], pages 100-103.
- G. MICHAUD, L'oeuvre et ses techniques, Nizet,
1957, pages 75-79 [1° publication : "De la musique avant toute chose...",
Annales de l'Université de la Sarre, 1952, pages 83-100].
- R. MOSER, L'impressionnisme français, Peinture, Littérature,
Musique, Genève-Droz / Lille-Giard, 1952, pages 86-87.
- M. REMACLE, Analyses de poèmes français, Liège,
Les Lettres Belges, coll. C.A.T., 1975, pages 101-107 [1° publication : Revue
des Langues vivantes, Bruxelles, 1953].
- R. VIVIER, Et la poésie fut langage, Bruxelles,
Palais des Académies, 1954, pages 187-189.
- P. DELBOUILLE, Poésie et Sonorités, Les Belles
Lettres, 1961, pages 214-222.
- E. ZIMMERMANN, Magies de Verlaine, Corti, 1967,
pages 51-54.
- M. RAYMOND, Etre et Dire, La Baconnière, Neuchâtel,
1970, pages 251-256.
- P. GUIRAUD, Essais de stylistique, Klincksieck,
1970, pages 271-274.
- E. NOULET, Le ton poétique, Corti, 1971, pages
42-44.
- D. DELAS et J. FILLIOLET, Linguistique et Poétique,
Larousse, 1973, pages 136-139.
- P. SOULIE-LAPEYRE, Le vague et l'aigu dans la perception
verlainienne, Publications de la faculté des Lettres et Sciences humaines
de Nice, Les Belles Lettres, 1975, pages 168-169 et 177.
- N. RUWET, "Parallélismes et déviations en poésie",
in Langue, Discours, Société, Pour Emile Benveniste, Seuil, 1975, pages
329-330.
- D. HILLERY, Romances sans paroles, The Athlone
Press, London, 1976, pages 76-77.
- H. MORIER, Dictionnaire de poétique et de rhétorique,
3° édition augmentée et entièrement refondue, PUF, 1981, article "Apophonie",
pages 120-121.
- P. DELBOUILLE, Poésie et Sonorités II, Les Belles
Lettres, 1984, pages 88-91.
J.-L. AROUI, "Forme strophique
et sens chez Verlaine", in Poétique n° 95, septembre 1993, Seuil,
pages 285-288.
(2) J. Borel, Préface à l'édition de Fêtes galantes, Romances sans paroles, Poésie-Gallimard, 1973, page 11. Voir aussi O. Nadal, Paul Verlaine, Mercure de France, 1961, page 122.
(3) Pour ce quatrain, le manuscrit ne comporte qu'un point d'exclamation final. Cf. Delbouille, Poésie et Sonorités (I), note 17, page 226.
(4) In Langage et science du langage, Nizet/ Presses de l'Université Laval, 1973, page 153. Voir aussi Le problème de l'article et sa solution dans la langue française, mêmes éditeurs, 1975, page 231.
(5) Verlaine avait d'abord pensé à "s'effrite", puis à "s'y noie" et à "s'ennuie".
(6) En attendant "s'ensanglante" et "s'effacent" de Simples fresques I, pour ne pas parler d'"exilés" et "en allés" de l'Ariette VII.
(7) Claude Cuenot, Le style de Verlaine, I, CEDES, 1963, page 292.
(8) Mais, contrairement à la première, cette deuxième division ne laisse aucun reste - ainsi que l'exige à ce moment le thème de l'écoeurement.
(9) Ce dernier parti-pris est incompatible avec celui de Nicolas Ruwet, qui évacue de l'analyse des parallélismes la "forme logico-sémantique" : déictiques, anaphoriques, termes implicatifs... (Cf. "Parallélismes et déviations en poésie", in Langue, Discours, Société, Pour Emile Benveniste, Seuil, 1975, pages 307-351.
(10) Seules les occurrences de "coeur" (MON COEUR, COEUR QUI S', COEUR QUI S', MON COEUR), participant du schéma embrassé, échappent à cette règle de distribution.
(11) CHANT comportant la seule "chuitante" du texte, l'attraction de la chaîne des /s/ (S'ENNUIE, SANS) peut jouer sans obstacle.