INTERTEXTES (compilation inachevée) |
||||
Je crois avoir démontré que les poèmes dialoguaient avec leur épigraphe et même, surtout lorsqu’il s’agissait d’incipit, avec le contexte d’origine de celle-ci. D’où l’idée de rassembler, dans leur intégralité si possible, les chansons, ariettes, scènes, lettres ou poèmes en cause, ainsi que les textes cités et quelques notes. C’est souvent plus qu’il n’en faut, mais peut-être trouverez-vous de quoi opérer d’autres rapprochements… Pour le reste, je n’apporte guère de nouveau. Les seules exceptions concernent l’Ariette VI (François les bas bleus notamment), Simples fresques II (les Royers-Collards), Malines (le " centon " des deux derniers vers) et, peut-être, le Pas d’armes du roi Jean (Flûte et cor). Pour le lexique, voir la recension de l'édition Bivort. |
||||
Epigraphes |
Citations |
Mentions |
Rapprochements |
|
Ariettes oubliées I |
||||
II |
||||
III |
||||
IV |
||||
V |
||||
VI |
François-les-bas-bleus |
|||
VII |
||||
VIII |
les loups maigres |
|||
IX |
||||
P. Belges Walcourt |
||||
Charleroi |
Kobolds |
|||
Simples fresques I |
||||
II |
||||
Chevaux de bois |
||||
Malines |
||||
Birds in the night |
Notre-Dame | |||
Aquarelles Green |
Cantique des cantiques | |||
Spleen |
d'Aubigné | |||
Streets I |
gigue | |||
II |
||||
Child wife |
||||
A… shepherd |
||||
Beams |
(Comtesse de Flandre) |
Ariette I
Favart Charles-Simon, Ninette à la cour ou le Caprice amoureux, comédie en deux actes mêlés d’ariettes (1756)
Le vent dans la plaine
Suspend son haleine
Mais il s’excite
Sur les coteaux ;
Sans cesse il agite
Les orgueilleux Ormeaux.
(Acte
II, scène 7)
On peut se reporter au tome III du Théâtre de M. Favart.
Ruth Moser (pages 101-2) et D. A. De Graaf ( ?) ont relevé de fortes convergences entre l’ariette et un passage du Journal des Goncourt daté du 2 août 1858, mais publié, semble-t-il, trop tard pour que Verlaine en ait eu connaissance en 1872. On peut cependant utiliser le rapprochement pour comparer les deux écritures.
" Croissy – En entrant sous bois, j’ai tout de suite le silence, mais un silence murmurant de toutes les petites et caressantes voix de la vie et de l’amour, que domine, comme une dièze profonde, la plainte amoureuse du ramier. L’herbe même est susurrante. La feuille parle à la feuille, et la plus petite poussant la plus grande qui lui cache le soleil, dit : " Range-toi ", et cela basso-basso, jusqu’à ce que la brise, passant dans la tête du bois, fasse un frémissement longuement s’en allant, qui emporte tous les bruits dans un frémissement de feuilles, ressemblant au doux et effacé murmure d’une eau qui coule au loin. "
Ariette II
Homère, Iliade, VIII, 502 (traduction de Leconte de Lisle)
" Et l'illustre Hektôr réunit l'agora
des Troiens, les ayant conduits loin des nefs, sur les bords du fleuve tourbillonnant,
en un lieu où il n'y avait point de cadavres. Et ils descendirent de
leurs chevaux pour écouter les paroles de Hektôr cher à
Zeus. Et il tenait à la main une pique de onze coudées, à
la brillante pointe d'airain retenue par un anneau d'or. Et, appuyé sur
cette pique, il dit aux Troiens ces paroles ailées :
– Écoutez-moi, Troiens, Dardaniens et Alliés. J'espérais
ne retourner dans Ilios battue des vents qu'après avoir détruit
les nefs et tous les Akhaiens ; mais les ténèbres sont venues
qui ont sauvé les Argiens et les nefs sur le rivage de la mer. C'est
pourquoi, obéissons à la nuit noire, et préparons le repas.
Dételez les chevaux aux belles crinières et donnez-leur de la
nourriture. Amenez promptement de la Ville des boeufs et de grasses brebis,
et apportez un doux vin de vos demeures, et amassez beaucoup de bois, afin que,
toute la nuit, jusqu'au retour d'Éôs qui naît le matin, nous
allumions beaucoup de feux dont l'éclat s'élève dans l'Ouranos,
et afin que les Akhaiens chevelus ne profitent pas de la nuit pour fuir sur
le vaste dos de la mer. "
IX, 65
" Il parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens applaudirent,
admirant le discours du dompteur de chevaux Diomèdès. Et le cavalier
Nestôr, se levant au milieu d'eux, parla ainsi :
– Tydéide, tu es le plus hardi au combat, et tu es aussi
le premier à l'agora parmi tes égaux en âge. Nul ne blâmera
tes paroles, et aucun des Akhaiens ne les contredira mais tu n'as pas tout dit.
À la vérité, tu es jeune, et tu pourrais être le
moins âgé de mes fils ; et, cependant, tu parles avec prudence
devant les Rois des Argiens, et comme il convient. C'est à moi de tout
prévoir et de tout dire, car je me glorifie d'être plus vieux que
toi. Et nul ne blâmera mes paroles, pas même le Roi Agamemnôn.
Il est sans intelligence, sans justice et sans foyers domestiques, celui qui
aime les affreuses discordes intestines.
Mais obéissons maintenant à la nuit noire : préparons notre
repas, plaçons des gardes choisies auprès
du fossé profond, en avant des murailles. C'est aux jeunes hommes de
prendre ce soin, et c'est à toi, Atréide, qui es le chef suprême,
de le leur commander. Puis, offre un repas aux chefs, car ceci est convenable
et t'appartient. "
Longfellow, 1841
Comme l’a noté V. P. Underwood (Verlaine et l’Angleterre, Nizet, 1956, note 1, page 74), Verlaine a pu découvrir ce poème grâce à Arthur Sullivan, qui l’a mis en musique en 1869.
The rainy day
The day is cold, and dark, and dreary;
It rains, and the wind is never weary ;
The vine still clings to the mouldering wall,
But at every gust the dead leaves fall,
And the day is dark and dreary.My life is cold, and dark, and dreary;
It rains, and the wind is never weary;
My thoughts still cling to the mouldering Past,
But the hopes of youth fall thick in the blast,
And the days are dark and dreary.Be still, sad heart! And cease repining;
Behind the clouds is the sun still shining;
Thy fate is the common fate of all,
Into each life some rain must fall,
Some days must be dark and dreary.
L’épigraphe de Rimbaud n’a pu être retrouvée
L’Inconnu est bien sûr
Verlaine lui-même, qui cite ses Poèmes saturniens (Melancholia,
VI) :
LASSITUDE
|
||
" A batallas de amor campo de pluma. " GONGORA |
De la douceur, de la douceur, de la douceur !
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la soeur.Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !Mais dans ton cher coeur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l'olifant !...
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !
Petrus Borel
à Francisque
Borel DOLEANCE |
||
Moerore conficior Rudiment. |
Son joyeux, importun, d'un clavecin sonore, Indiscret, d'où viens-tu ? Sans doute une main blanche, Non : j'entends les pas sourds d'une foule ameutée, |
Autour de moi ce n'est que palais, joie immonde, Car tout m'accable enfin ; néant, misère, envie Eh ! Moi, plus qu'un enfant, capon, flasque, gavache, |
Théophile Gautier, Emaux et camées
Rapprochement suggéré avec la 11ème strophe de la Symphonie en blanc majeur :
L'ivoire, où ses mains
ont des ailes, Et, comme des papillons blancs, Sur la pointe des notes frêles Suspendent leurs baisers tremblants ; |
Au clair de la lune
Il importe tout d’abord de donner le texte complet d’ Au clair de la lune – citer l’incipit équivaut d’ailleurs à citer toute la chanson – pour rappeler que Pierrot est plus proche de l’écrivain public que François-les-bas-bleus et que lui aussi néglige une belle occasion… En vogue vers 1780 et attribué par une légende à Lully.
Au clair de la lune, |
Au clair de la lune, |
On sait que Jean de Nivelle (1422-1477) "quitta le parti de Louis XI pour s’attacher au duc de Bourgogne", en 1454, et que son père, Jean II de Montmorency, le "somma en vain de rentrer dans le devoir, le déshéritant et lui donnant l’épithète injurieuse de chien" (d’après Pierre Larousse). A la suite de quoi l’intéressé se fixa en Flandre… En naquit (en Brabant ?) une chanson " dont notre Cadet Roussel emprunta quelques traits " :
Cadet Roussel a trois gros chiens
L'un court au lièvr', l'autre au lapin,
L' troisième s'enfuit quand on l'appelle
Tout comme le chien de Jean de Nivelle.
Ah ! Ah ! Ah ! oui, vraiment,
Cadet Roussel est bon enfant .
Voici la version donnée par Larousse :
Jean de Nivelle est un héros, Jean de Nivelle a trois châteaux (bis) Trois palefrois et trois manteaux (bis) ; Et puis, trois lames de flamberge Qu’il laisse parfois à l’auberge ! Ah ! ah ! ah ! oui, vraiment, etc. |
Jean
de Nivelle a trois cochons (bis) L’un fait des sauts, l’autre des bonds (bis), Le troisième monte à l’échelle ! C’est flatteur pour Jean de Nivelle ! Ah ! ah ! ah ! oui, vraiment, etc. Jean de Nivelle a trois enfants (bis) L’un est sans nez, l’autre sans dents (bis), Et le troisième est sans cervelle ! C’est bien dur pour Jean de Nivelle ! Ah ! ah ! ah ! oui, vraiment, etc. Jean de Nivelle n’a qu’un chien (bis), Il en vaut trois, on le sait bien (bis), Mais il s’enfuit quand on l’appelle, Connaissez-vous Jean de Nivelle ? Ah ! ah ! ah ! oui, vraiment, etc. |
On trouvera d’autres versions, sensiblement différentes,
aux adresses suivantes : http://humanities.ucsd.edu/courses/kuchtahum3/music/nivelle.htm
http://ourworld.compuserve.com/homepages/Thierry_Klein/jeandeni.htm
C'est la Mère Michel qui a perdu son chat,
Qui crie par la fenêtre à qui le lui rendra.
C'est le Père Lustucru qui lui a répondu :
"Allez, la Mère Michel, votr' chat n'est pas perdu !"
C'est la Mère Michel qui lui a demandé :
"Mon chat n'est pas perdu, vous l'avez donc trouvé ?"
Et le Père Lustucru qui lui a répondu :
"Donnez une récompense, il vous sera rendu".
Et la Mère Michel lui dit : "C'est décidé
Rendez-le moi, mon chat, vous aurez un baiser".
Et le Père Lustucru, qui n'en a pas voulu
Lui dit : "Pour un lapin votre chat est vendu".
Variante pour " C’est le Père "/ " Et
le Père " : " Le compère ".
L’air serait celui d’une chanson de marche en l’honneur de Catinat, datée
de 1693 ; la chanson, popularisée par le théâtre de
marionnettes vers 1820, a été assortie d’un refrain : " Sur
l’air du tralala (bis) // Sur l’air du tradéridéra // Et
tralala ".
Bien que le poème cite Les Femmes savantes et que la rime y soit " androgyne ", il est peu probable, ne serait-ce qu’à cause du pluriel, qu’il renvoie à l’expression " bas-bleu " désignant une femme qui se mêle de lettres ou de sciences – encore que... Les bas bleus étaient simplement les jeans de l’époque, des bas de laine, tricotés et trempés dans la teinture la plus commune, guède (pastel) puis indigo. Ce sont ceux avec lesquels le botaniste Benjamin Stillingfleet est venu un jour, vers 1850, au cercle de Mrs Montagu (lequel prit alors le nom de Bluestocking Society) et ceux que porte sempiternellement Jean-François les bas bleus, le héros éponyme d’un conte de Nodier daté de 1833 – une première édition a paru en 1832, dans les Cent-une nouvelles des Cent-un. Robichez fait apparemment de ce conte la source de Verlaine. Or, première bizarrerie, il s’intitule, non François les bas bleus, mais Jean-François les bas bleus. Admettons un instant que Verlaine abrège, pour le mètre. Reste tout de même à dire pourquoi cet idiot visionnaire devient le personnage principal de la Nuit falote. Rappelons brièvement l’anecdote : il s’agit d’un jeune homme très savant, Jean-François Touvet, qui, devenu précepteur, sombre dans l’hébétude à force d’érudition ; rentré chez son père à Besançon, il ne s’éveille de sa léthargie et de ses marmonnements que pour parler science et, notamment, astronomie. C’est précisément dans le ciel qu’il lit un jour de 1793 la mort de Marie-Antoinette, puis celle de la famille noble qui l’employait, en particulier de son élève dont il était amoureux. Il tombe alors raide mort… On voit mal le rapport avec l’ariette, en dehors peut-être du passage suivant :
Et Jean-François les bas-bleus passoit en effet sans avoir pris garde à rien ; car cet œil que je ne saurois peindre n'étoit jamais arrêté à l'horizon, mais incessamment tourné vers le ciel, avec lequel l'homme dont je vous parle (c'étoit un visionnaire) paroissoit entretenir une communication cachée, qui ne se faisoit connoître qu' au mouvement perpétuel de ses lèvres.
Robichez veut à tout prix rapprocher ce Jean-François
du personnage de l’écrivain public sous prétexte qu’il rédige
les devoirs des collégiens paresseux. Or Nodier ne fait état que
de moqueries de la part des enfants et le narrateur se contente de préciser :
" …je ne l'abordais ordinairement qu'au nom de l'aoriste ou du
logarithme, de l’hypoténuse ou du trope, et de quelques autres difficultés
pareilles de ma double étude. " Sans doute Robichez a-t-il
mal lu une note de Castex, renvoyant à un autre conte et à un
autre héros, qui servait bien, lui, de répétiteur.
De façon assez curieuse compte tenu des dates, Robichez ajoute une deuxième
référence : " Dans l’opéra-comique de Dubreuil,
Humbert et Burani, François-les-bas-bleus, qui sera créé
aux Folies-Dramatiques le 8 novembre 1883, François est, de son
métier, écrivain public. " Suggère-t-il que Verlaine
aurait servi de passeur entre Nodier et les librettistes ? Si l’on en juge
par les résumés que donnent Pierre Larousse (deuxième supplément)
et Robert Pourvoyeur (Opérette n° 50, page 38), cela semble douteux :
" La pièce se passe en 1789. F. les Bas bleus, un écrivain
public du quartier Saint-Eustache, aime Fanchon, la petite chanteuse des rues.
Au moment où il va l’épouser, une vieille ronde qu’elle chante
la fait reconnaître pour la fille du marquis de Pontcornet, volée
jadis par des saltimbanques. Le marquis reprend sa fille et lui destine pour
mari son cousin, le chevalier de Lansac. Entre-temps, la ronde, corrigée
par François et devenue chant révolutionnaire, fait mettre le
marquis à la Bastille. Délivré par le 14 juillet, il s’improvise
marchand de cidre mais est à nouveau arrêté comme suspect
et n’est relâché que grâce au petit François, devenu
commandant de la Garde nationale, à la condition qu’il consentira au
mariage de celui-ci avec Fanchon. " Une affiche
de Chéret représente une Leçon d’écriture
(donnée par François à Fanchon) et le débit de cidre
mais, ce qui est plus intéressant, c’est que nous avons là un
écrivain public et des chansons, en particulier une romance (" C’est
François-les-bas-bleus / Que le monde / Chante à la ronde / L’ami
des amoureux / C’est François-les-bas-bleus "). On voit
mal toutefois ce qui autorise l’édition scolaire de la " Bibliothèque
Gallimard " (Isabelle Emile-Moëglen) à soutenir que l’ariette
" met en scène un personnage d’écrivain public sorti
tout droit d’un opéra-comique " ! Encore une mauvaise
lecture de note… Reste que les convergences sont plus fortes qu’avec Nodier.
D’où deux hypothèses : soit il y a eu communication à
un moment donné entre Verlaine et les auteurs de l’opéra-comique,
soit ce dernier et l’ariette remontent à une source commune.
Je reviendrai peut-être un jour sur les indices qui pourraient conforter la première hypothèse. Pour l'instant, je note seulement que, si l'ariette met en scène un écrivain public, rien n'oblige à identifier ce Pierrot à François les-bas-bleus, même si plusieurs l'ont fait. Voyons donc la seconde hypothèse.
Olivier Bivort, dans sa note, donne l’impression de fournir un antécédent plausible et de suggérer un relais entre Nodier et Verlaine : le 31 janvier 1863, Paul Meurice (l’agent de Hugo à Paris et l’un des futurs fondateurs du Rappel) a fait jouer un drame en 5 actes et 7 parties intitulé François les bas bleus. Larousse nous apprend qu’il s’agit d’un " drame à grand spectacle représenté à l’Ambigu ". Meurice s’est-il inspiré de Nodier comme pour Le Roi de Bohême et ses sept châteaux (1859) ? Plutôt du Vicomte de Bragelonne et de Bossuet ! Cette espèce de mélodrame historique, dédié à Michelet, raconte la fin d’Henriette d’Angleterre – la dernière scène distille " Madame se meurt ", " Madame est mourante ", " Madame est morte " – en prenant parti pour la thèse de l’empoisonnement. Le coupable serait bien sûr le chevalier de Lorraine, converti à la haine par désespoir amoureux et qui aurait voulu empêcher la princesse de couronner les vœux du comte de Guiche. Nous ne sommes donc plus sous la Révolution, mais en 1670 et, s’il peut encore être qualifié d’"ami des amoureux", François-les-bas-bleus n’est pas écrivain public – il ne sait même pas écrire, semble-t-il –, mais vigneron, à Colombes ! Frère de lait de Guiche et très attaché à Madame, la bienfaitrice de sa famille, il déjoue à plusieurs reprises les machinations des méchants et pousse aux solutions les plus honorables en exaltant en chacun ce qu’il a de meilleur… En bref, il est tout à fait aimable et dévoué, bon génie qui manque de peu sauver son idole. Les seules notations qui le rattachent au personnage de Nodier (ou de Verlaine) se trouvent à l’acte premier – et ne sont au demeurant guère cohérentes avec le comportement de François par la suite :
" C’est une espèce d’ahuri et de distrait, faiseur de songes, diseur de contes, et sujet à des absences de plusieurs sortes. " - " Vous savez bien qu’il n’a pas du tout le sentiment de l’horloge. Il s’est oublié, une fois, sept heures durant sur une échelle. Il est pris et distrait d’un rien, d’une pâquerette, d’une bête à bon Dieu, d’une mésange au nid, d’une fillette à la croisée, surtout des fillettes à leur… " ; et, de l’intéressé lui-même : " Je n’ai pas de mémoire ", " Mon cœur a pris toute ma mémoire (…) J’aime les belles filles, mais je les aime pour elles. Sans intérêt, gratis. Et je les aime toutes en attendant qu’il y en ait une qui m’aime " ; " Distrait, on m’appelle distrait ! c’est-à-dire que je suis mon idée de si bon cœur que je n’en peux suivre qu’une à la fois… "
MONTALAIS. – Savez-vous, François, que vous n'avez
pas les façons de parler d’un vilain ! (…)
FRANÇOIS.– Oh ! madame, je parle bonnement, je parle devant
moi, suivant que les personnes me disent. C'est vrai que j'ai un peu appris
le monde…
MONTALAIS. – Ah ! où donc?
FRANÇOIS. – Eh ! dans la Bibliothèque bleue, que
j'achète aux foires. Avec ma mère, v’là ce qui m'a
éduqué : c'est la Belle Maguelonne, et la Patience
de Grisélidis, et le Calendrier du berger, et le Trésor
des chansons. Et puis, les champs, les bois, — et les bêtes. V’là
ce qui m'a fait ce que je suis, un Jean qui rêve, une espèce
de songe-fêtes, qui ne va jamais que nulle part, qui ne regarde jamais
qu’ailleurs, qui, tout bêchant ou bien greffant, amuse son travail
avec des histoires de belles dames et de bonnes fées. Et, quand je
n’en ai plus, je m'en invente moi seul à moi-même. Et je m'en
conte, allez! Des contes, des contes de la couleur de mes bas ! — V’là
toujours comme je commence : " II y avait une fois un paysan et une
reine..."
MONTALAIS. – Oh ! c'est un peu hardi !
FRANÇOIS. – Oui, mais il n'y a jamais que des commencements. Il est
content de peu, mon rustaud ; un petit pied qui passe, une menotte
qui se dégante, un doux regard qui tombe sur lui en chemin, il n’en
demande pas davantage…(…) Rien ne m’arrive à moi, vous savez, rien
de réel. Je m’étais commencé une bien jolie histoire,
l’autre jour, j’oublierai que l’histoire est vraie, je me souviendrai seulement
que je l’ai rêvée… "
Cette citation un peu longue montre que Verlaine a pu s’inspirer de Meurice plutôt que de Nodier, mais il conviendrait d'examiner également le drame en cinq actes, François les bas bleus, ou la Ferme et le Salon, donné à l'Ambigu par Hippolyte Hostein en 1854, ou encore le roman daté de 1845 d'un émule de Paul de Kock, Maximilien Perrin (cf. Pierre Larousse et la base Opale de la BNF) - la veine égrillarde n'est pas exclue, après tout, et si Verlaine a pu un moment baptiser son recueil "Gustave" en référence au Gustave ou Le mauvais sujet (1821) de Paul de Kock lui-même [NB : l'hypothèse me paraît maintenant contestable], on peut penser que Perrin comptait aussi au nombre de lectures adolescentes...
Cependant, nous nous retrouvons dès maintenant à la tête de trois ou quatre François-les-bas-bleus assez différents, n’ayant en commun que d’être des garçons simples et rêveurs, donc de plus de ressources qu’il n’y paraît. Et si Nodier ne fournit qu’une variante (ainsi ni Verlaine ni Meurice n’auraient simplifié le prénom Jean-François), on peut imaginer qu’il a projeté un François-les-bas-bleus préexistant sur un Jean-François Touvet qu’on dit réel. Il faudrait donc remonter dans le temps pour chercher une source commune à tous ces rêveurs. L’hypothèse semble se vérifier : selon Sylvie Vielledent, en 1830, dans une des parodies d’Hernani jouée à la Porte Saint-Martin et intitulée N.I.NI ["ou Le Danger des Castilles", de Carmouche, de Courcy et Dupeuty, "amphigouri-romantique en 5 actes et en vers sublimes mêlés de prose ridicule", publié la même année chez Bezou - à noter que l'un des coauteurs, Frédéric de Coucy, a aussi fait jouer en 1827 un vaudeville en un acte intitulé L'écrivain public], Don Pathos (avatar de Don Carlos comme Dégommé est celui de D. Gomez) évoque en présence de Parasol (Doña Sol) la prochaine élection à l’Empire, devenue dans la pièce réception chez les Compagnons du Devoir – il y sera reçu sous le nom, non de Charles Quint, mais d’Arlequin, mais pour l’instant, il redoute la concurrence de François Ier. Or, devinez comment celui-ci est surnommé :
Le seul que je redoute est François les
Bas-Bleus
Mais tous les Dévorans se trouvent à la diète ;
J’ai fait aux plus goulus payer de la piquette,
Au moment du scrutin ils seront sur le flanc
Et François les Bas-Bleus n’en sortira pas
blanc.
Il se trouve que le vaudevilliste Carmouche, membre du " Caveau moderne ", a collaboré avec Nodier au Vampire (1820) et écrit un Trilby (1829). On ne peut pour autant soutenir qu’il ferait ici référence à Jean-François les bas bleus, dont il aurait eu connaissance avant publication : l’emploi de ce nom propre, sur le même plan que quelques autres (Arlequin, Pimbêche, Carmagnole, Paillasse), suppose une notoriété que ne peut assurer une simple mention dans un livre non encore paru.
D’où l’hypothèse suivante : il existait dès avant 1830 un personnage (mais de quel répertoire ? celui de la chanson populaire, du vaudeville, de la Foire ou du mélodrame ? de la Bibliothèque bleue ? un surnom de compagnon ?) dont Perrin et Meurice auraient repris le nom après que Nodier s’en fut inspiré, mais il n’est pas exclu que Verlaine ait puisé à la même source, ce qui donnerait plus d’homogénéité à ses citations, allusions et emprunts. Enquête à continuer donc. En attendant, la note ne peut que faire état de notre incertitude, et non ajouter à une référence douteuse (à Nodier) une autre du type " fille mère de sa mère ", non plus qu’accumuler des titres, et rien que des titres, comme si le contenu importait peu.
Car en l’occurrence, il importe, ne serait-ce que négativement. Il paraît clair que l’écrivain public ne peut être assimilé au courtaud, au robin, au petit abbé – et peut-être même pas au poète : ceux-ci font foule, la foule des piteux, à la virilité peut-être incertaine [ Le courtaud est sans doute ici un commis de boutique, mais on ne peut exclure une connotation sexuelle (les courtauds sont aussi des chiens et des chevaux auxquels on a coupé les oreilles et la queue) ; le " robin " partagerait avec l’abbé et le " bas bleu " une apparence de féminité. Quant à " la rime non attrapée "… Relevons d’autre part que le rôle de François les bas bleus, dans la pièce de Meurice, a été créé par " Mme Marie Laurent " – qui ne peut être Méry, vu la date.] Mais, à l’autre bout, est-on sûr que François soit écrivain public ? Seul celui de l’opéra-comique l’est avec certitude, mais Verlaine, lui, pourrait n’avoir songé qu’à Pierrot. En conséquence, la strophe-cadre pourrait être totalement détachée des autres, ce qui ne serait pas sans effet sur l’interprétation du poème : François ne serait pas plus concerné par l’amour torride (ou la fidélité) d’Angélique et Médor que par l’amour adultère de la Boulangère et l’amour tarifé de l’impure en carrosse. Il jouirait d’une parfaite " extraterritorialité "…
Ajouts (en attendant une réécriture complète de cette notice) :
Dans le Roland furieux de l’Arioste (Chant XIX), Médor est un Sarrasin "paré de tous les charmes, de toutes les grâces de la jeunesse". Son prince, Dardinel, étant tombé sous les coups de Renaud et son cadavre ayant été abandonné sur le champ de bataille, son ami Cloridan et lui, nouveaux Nisus et Euryale, entreprennent de lui donner une sépulture. Après avoir fait un carnage dans le camp des Chrétiens endormis, ils retrouvent le corps et Médor rentrait chargé de ce "précieux fardeau" quand survient un parti d’ennemis. Cloridan est tué et Médor lui-même est laissé pour mort. "Il allait rendre le dernier soupir lorsqu’un heureux hasard conduit auprès de lui la belle Angélique", reine de Cathay (dans les Indes !) aimée de Roland et de Renaud, fuyant ces deux prétendants qu’elle refuse et échappant à bien d’autres qui se présentent le long de son chemin (Roger, Ferragus, Sacripant….). Elle rappelle Médor "à la vie, l’emmène dans une cabane de berger où elle achève sa guérison, et finit par lui offrir sa main et sa couronne : elle l’épouse dans ce lieu sauvage, où ils passent encore un mois au milieu des plus doux transports, parcourant les plus frais ombrages, visitant tous les jours de nouvelles grottes" et gravant leurs deux noms sur tous les arbres qu’ils rencontraient. "Ils partent enfin pour les Indes, où Angélique se propose de faire couronner Médor. A peine s’étaient-ils éloignés que Roland arrive (…) En lisant sur l’écorce des arbres les noms entrelacés des deux époux (…), le héros se livre au désespoir et, saisi tout à coup d’une folie furieuse, il ravage toute la campagne." (d’après P. Larousse). Voir : http://www.ilnarratore.com/anthology/ariosto/Pazzia.PDF et http://www.lire.fr/extrait.asp/idC=36388/idR=202/idG=9/idP=6
Robichez met en avant l’Arioste et le relais de la chanson tandis qu’Olivier Bivort cite un opéra-bouffe de Sauvage qui fut aussi le librettiste de Fisch-Ton-Kan, il est vrai, mais en prêtant à la pièce quelque succès alors que Larousse et Fétis suggèrent plutôt que ce fut pour Ambroise Thomas, le compositeur, un sombre four. Mais passons : compte tenu du contexte, il eût mieux valu se tourner vers la gravure (comme l’a d’ailleurs fait D. Hillery) et exploiter le travail d’Alexandru Cioranescu (L’Arioste en France, des origines à la fin du XVIIIe siècle, Presses modernes, 1939) : on aurait alors découvert que le sujet, érotique à souhait, a été souvent traité aux XVIIème et XVIIIème siècles et même encore au début du XIXème, aussi bien d'ailleurs par les peintres (voir la " base Joconde " – demander " Médor " !) que par les graveurs (ainsi Canu), et l’on peut imaginer que l’une de ces reproductions faisait une bonne enseigne pour un écrivain public, rédacteur de lettres d’amour et qui, en outre, couplait souvent son activité avec celle de vendeur d’images (Christine Métayer : Au tombeau des secrets, Les écrivains publics du Paris populaire, Cimetière des Saints-Innocents, XVIe-XVIIIe siècles, Albin Michel, 2000, pages 278 et suivantes). En l’occurrence, Verlaine était peut-être meilleur dix-huitiémiste que Robichez et Bivort, ce qui le dispensait d’intermédiaires. Mieux vaut donc, après avoir évoqué une vogue dont on trouve des traces chez Balzac aussi bien que dans la décoration des éventails (http://perso.wanadoo.fr/eventail/questions2.htm), résumer le passage pertinent du Roland Furieux.
La Boulangère
La belle Boulangère
A presté son devant
Avec une lingère
Pour avoir de l'argent,
Et leurs maris cocus
Cocus tous pleins de cornes
Vous amassez beaucoup d'escus !
Mais est-ce celle de Gallet, fondateur du premier " Caveau " (vers 1720 ou 1730) ?
La boulangère
a des écus Qui ne lui coûtent guère (bis) Elle en a, je les ai vus J'ai vu la boulangère Aux écus J'ai vu la boulangère. |
Des
abbés coquets sont venus Ils m'offraient pour me plaire Des fleurettes au lieu d'écus Je les envoyais faire Vois-tu Je les envoyais faire. |
- D'où viennent tous
ces écus Charmante boulangère ? - Ils me viennent d'un gros Crésus Dont je fais bien l'affaire Vois-tu Dont je fais bien l'affaire. |
-
Moi, je ne suis pas un Crésus Abbé ni militaire Mais mes talents sont bien connus Boulanger de Cythère Vois-tu Boulanger de Cythère. |
A mon four
aussi sont venus De galants militaires Mais je préfère les Crésus A tous les gens de guerre Vois-tu A tous les gens de guerre. |
Je
pétrirai le jour venu Notre pâte légère Et la nuit, au four assidu J'enfournerai, ma chère Vois-tu J'enfournerai, ma chère. |
Des petits-maîtres
sont venus En me disant : "Ma chère, Vous êtes plus belle que Vénus". Je n' les écoutais guère Vois-tu Je n' les écoutais guère. |
- Et bien !
épouse ma vertu. Travaill' de bonn' manière Et tu ne seras pas déçu Avec la boulangère Aux écus ! Avec la boulangère. |
Femme légère certes, la Boulangère de Verlaine n’est pas intéressée ni ne dédaigne le militaire. Elle pourrait donc tout aussi bien provenir de la version édulcorée proposée par la ronde enfantine du milieu du XIXe siècle :
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère (bis)
Elle en a, je les ai vus
J’ai vu la boulangère aux écus
J’ai vu la boulangère.
La nuit pour mieux veiller dessus
Je crois qu’elle ne dort guère (bis)
Mais son trésor est connu
J’ai vu la boulangère aux écus
J’ai vu la boulangère
Comme Lustucru et La Ramée, ce n’est ici qu’un type.
Molière, Les femmes savantes (Acte III, scène 2)
TRISSOTIN
Peut-être que mes vers importunent Madame.
HENRIETTE
Point: je n'écoute pas.
PHILAMINTE
Ah!
voyons l'épigramme.
TRISSOTIN
Sur un carrosse de couleur amarante,
donné à une dame de
ses amies.
PHILAMINTE
Ces titres ont toujours quelque chose de rare.
ARMANDE
À cent beaux traits d'esprit leur nouveauté prépare.
TRISSOTIN
L'amour si chèrement m'a vendu son lien,
BÉLISE, ARMANDE et PHILAMINTE
Ah!
TRISSOTIN
Qu'il m'en coûte déjà la moitié de mon bien;
Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d'or se relève en
bosse,
Qu'il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
PHILAMINTE
Ah! ma Laïs! voilà de l'érudition.
BÉLISE
L'enveloppe est jolie, et vaut un million.
TRISSOTIN
Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d'or se relève en bosse,
Qu'il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
Ne dis plus qu'il est amarante:
Dis plutôt qu'il est de ma rente.
ARMANDE
Oh, oh, oh! celui-là ne s'attend point du tout.
PHILAMINTE
On n'a que lui qui puisse écrire de ce goût.
BÉLISE
Ne dis plus qu'il est amarante:
Dis plutôt qu'il est de ma rente.
Voilà qui se décline: ma rente, de ma rente, à ma
rente.
PHILAMINTE
Je ne sais, du moment que je vous ai connu,
Si sur votre sujet j'eus l'esprit prévenu,
Mais j'admire partout vos vers et votre prose.
Monsieur Los
La prononciation populaire du nom de Law était en principe [lâss], ce qu’on explique tantôt par l’influence de la forme "génitive" Law’s, tantôt par une mauvaise lecture du w. Cf. chapitre sur la rime.
Le poète crotté
: titre de Saint-Amant (1629) mais c’est un topos de l’époque : cf. http://www.textes17.org/cntxt_pocrott.html
Entends-tu le hibou qui jette ses cris aigres ?
Entends-tu dans les bois hurler les grands loups maigres ?
O vieillard sans raison !
Rentre, c’est le moment où la lune réveille
Le vampire blafard sur sa couche vermeille ;
Rentre dans ta maison.
Savinien de CYRANO de BERGERAC, Lettres diverses (1654 ?)
AUTRE.
SUR L'OMBRE QUE FAISOIENT DES ARBRES DANS L'EAU.
Lettre VII.
Monsieur,
Le ventre couché sur le gason d'une riviere, & le dos estendu sous les branches d'un saule qui se mire dedans, je voy renouveller aux arbres l'histoire de Narcisse ; cent peupliers precipitent dans l'onde cent autres peupliers, & ces aquatiques ont esté tellement épouventez de leur cheute, qu'ils tremblent encores tous les jours du vent qui ne les touche pas, je m'imagine que la nuict ayant noircy toutes choses, le Soleil les plonge dans l'eau pour les laver : mais que diray-je de ce miroir fluide, de ce petit monde renversé, qui place les chesnes au dessous de la mousse, & le Ciel plus bas que les chesnes ? Ne sont-ce point de ces Vierges de jadis metamorphosées en arbres, qui desesperées de sentir encore violer leur pudeur par les baisers d'Apollon, se precipitent dans ce fleuve la teste en bas ? ou n'est-ce point qu'Apollon luy-mesme offensé qu'elles ayent osé proteger contre luy la fraischeur, les ait ainsi penduës par les pieds ? Aujourd'hui le poisson se promene dans les bois : & des forests entieres sont au milieu des eaux sans se moüiller ; un vieil orme entr'autres vous feroit rire, qui s'est quasi couché jusques dessus l'autre bord, afin que son image prenant la mesme posture, il fit de son corps & de son portrait un hameçon pour la pesche : l'onde n'est pas ingrate de la visite que ces saules luy rendent ; elle a percé l'Univers à jour, de peur que le vase de son lict ne soüillat leurs rameaux, & non contente d'avoir formé du cristal avec de la bourbe, elle a vouté des Cieux & des Astres par dessous, afin qu'on ne pût dire que ceux qui l'estoient venus voir eussent perdu le jour qu'ils avoient quitté pour elle : maintenant nous pouvons baisser les yeux au Ciel, & par elle le Jour se peut vanter que tout foible qu'il est à quatre heures du matin, il a pourtant la force de precipiter le Ciel dans des abîmes : mais admirez l'Empire que la basse région de l'ame exerce sur la haute, après avoir découvert que tout ce mirac(l)e n'est qu'une imposture des sens, je ne puis encore empescher ma veuë de prendre au moins ce Firmament imaginaire pour un grand lac sur qui la terre flote; le Rossignol qui du haut d'une branche se regarde dedans, croit estre tombé dans la Riviere : II est au sommet d'un chesne & toutefois il a peur de se noyer ; mais lors qu'apres s'estre affermi de l'oeil & des pieds, il a dissipé sa frayeur, son portrait ne luy paroissant plus qu'un rival à combatre, il gasoüille, il éclate, il s'égosille, & cet autre Rossignol, sans rompre le silence, s'égosille en aparence comme luy ; & trompe l'ame avec tant de charmes qu'on se figure qu'il ne chante que pour se faire ouyr de nos yeux ; je pense méme qu'il gazoüille du geste, & ne pousse aucun son dans l'oreille afin de respondre en meme temps á son ennemy, & pour n'enfraindre pas les loix du païs qu'il habite, dont le peuple est muet ; la perche, la dorade, & la truite qui le voyent, ne sçavent si c'est un poisson vestu de plumes, ou si c'est un oyseau dépoüillé de son corps ; elles s'amassent autour de luy, le considerent comme un monstre, & le brochet (ce tyran des Rivieres) jaloux de rencontrer un Estranger sur son Trône, le cherche en le trouvant, le touche & ne le peut sentir, court après luy au milieu de luy mesme, & s'étonne de l'avoir tant de fois traversé sans le blesser : moy-mesme j'en demeure tellement consterné que je suis contraint de quitter ce tableau. Je vous prie de suspendre sa condamnation, puis qu'il est malaisé de juger d'une ombre : car quand mes antousiasmes auroient la reputation d'estre fort éclairez, il n'est pas impossible que la lumiere de celuy-cy soit petite, ayant esté prise à l'ombre : & puis, quelle autre chose pourrois-je ajouster à la description de cette Image enluminée, sinon que c'est un rien visible, un cameleon spirituel ; une nuit, que la nuit fait mourir ; un procez des yeux & de la raison, une privation de clarté que la clarté met au jour ; enfin que c'est un esclave qui ne manque non plus à la matiere, qu'à la fin de mes lettres,
Vostre serviteur, &c.
Est-il rien sur la terre
|
" La vieillesse me gêne, " Juste ciel ! que ma ronde |
" Nous pensions comme un songe 1774
|
Chrétien, au voyageur souffrant Tends un verre d'eau sur ta porte. Je suis, je suis le Juif errant Qu'un tourbillon toujours emporte. Sans vieillir, accablé de jours, La fin du monde est mon seul rêve. Chaque soir j'espère toujours, Mais toujours le soleil se lève. Toujours, toujours Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Depuis dix-huit siècles, hélas
! Sur la cendre grecque et romaine, Sur les débris de mille états, L'affreux tourbillon me promène. J'ai vu sans fruit germer le bien, Vu des calamités fécondes, Et, pour survivre au monde ancien, Des flots j'ai vu sortir deux mondes. Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Que des enfants vifs et joyeux
Des miens me retracent l'image; Si j'en veux repaître mes yeux, Le tourbillon souffle avec rage. Vieillards, osez-vous à tout prix M'envier ma longue carrière ? Ces enfants à qui je souris, Mon pied balaiera leur poussière. Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Dieu m'a changé pour
me punir : À tout ce qui meurt je m'attache ; Mais du toit prêt à me bénir Le tourbillon soudain m'arrache. Plus d'un pauvre vient implorer Le denier que je puis répandre, Qui n'a pas le temps de serrer La main qu'en passant j'aime à tendre. Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Des murs où je suis né jadis Retrouvé-je encor quelque trace ; Pour m'arrêter je me roidis ; Mais le tourbillon me dit : " Passe ! Passe ! " et la voix me crie aussi : " Reste debout quand tout succombe. Tes aïeux ne t'ont point ici Gardé de place dans leur tombe." Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Seul, au pied d'arbustes en fleurs, Sur le gazon, au bord de l'onde, Si je repose mes douleurs, J'entends le tourbillon qui gronde. Eh ! qu'importe au ciel irrité Cet instant passé sous l'ombrage? Faut-il moins que l'éternité Pour délasser d'un tel voyage ? Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
J'outrageai d'un rire inhumain L'Homme-Dieu respirant à peine… Mais sous mes pieds fuit le chemin ; Adieu, le tourbillon m'entraîne. Vous qui manquez de charité, Tremblez à ce supplice étrange : Ce n'est point sa divinité, C'est l'humanité que Dieu venge. Toujours, toujours, Tourne la terre où moi je cours, Toujours, toujours, toujours, toujours. |
Les Royer-Collards : Pierre-Paul, philosophe et homme politique, est mort en 1845 et était d’ailleurs pratiquement inactif depuis 1830. Que vient-il faire ici, en Belgique, tant d’années après ? Comme beaucoup, je n’ai guère été convaincu par la note de Le Dantec (Pléiade), faisant état de l’hostilité de Royer-Collard à l’égard de Vigny et rapportant que, d’après Lepelletier, les Royers-Collards personnifiaient pour Verlaine "les ennemis de la poésie, les solennels et les pontifes" – allusion à l’épisode célèbre de la réception académique, au cours de laquelle le "vieillard aigri" déclara à Vigny, en substance : "Je ne vous ai pas lu et je ne vous lirai pas. A mon âge, je relis." (voir le Journal d’un poète).
Mais le pluriel qui marque le nom propre est, en bon français, réservé à l’antonomase. D’autre part, Royer-Collard, homme du "juste milieu", était avec Guizot l’un des principaux "doctrinaires" : je vous renvoie à Pierre Larousse pour la définition, historique, philosophique et politique, de ladite doctrine. Or, il y a eu une deuxième génération de doctrinaires : les libéraux de Charles Rogier, puis de Walthère Frère-Orban, au pouvoir en Belgique de 1857 à 1870, puis de 1877 à 1884. En 1872, ils avaient donc été supplantés au gouvernement par les catholiques de Malou, mais, avec Jules Anspach, le Haussmann belge, bourgmestre de 1863 à 1879, ils détenaient encore la municipalité de Bruxelles. Laïcs opposés sur la question scolaire aux cléricaux, partisans du régime censitaire contre les progressistes et les radicaux, ils étaient les représentants de la grande bourgeoisie industrielle, celle du charbon et du chemin de fer – Charleroi et Malines. Ce sont très vraisemblablement eux, les "(amis des) Royer-Collards", la périphrase fournissant un repère au lecteur français.
Reste qu’il y a d’une certaine façon "détour", et en tout cas mention d’un nom susceptible d’éveiller certaines associations. La périphrase oblige donc à se reposer les questions qui étaient les nôtres avant que nous n’identifiions la cible de Verlaine. Qu’apporte la mention des "Royer-Collards" qui ne serait pas contenu dans une simple référence aux Doctrinaires belges ? Peut-être peut-on revenir maintenant – et seulement maintenant – à la biographie de Vigny. Plus généralement, le vers suggère une sorte de réhabilitation ironique du "juste-milieu", esquissant un anti-Monsieur Prudhomme, une palinodie d’un instant. A cause de l’insistance, ailleurs, sur "bien" et sur "beau", je n’exclus pas non plus que Verlaine ait songé au titre célèbre de Victor Cousin – le "vrai" manquant. Mais Royer-Collard, ça ne nous rajeunit pas et la rime "vieillards" importe également : la référence introduit une distance temporelle qui fait entrave à l’identification – et, accessoirement, me confirme dans l’idée que ce château "tout blanc Avec à son flanc Le soleil couché" (et non "couchant") ressemble fort à un tombeau.
Comme l'intéressé était familier à la fois de Verlaine et, bien sûr, de Bruxelles, et même si la mention des "champs à l'entour" suscite un doute, il vaut la peine de citer le comte Carton de Wiart (biographie d'Auguste Bernaert, in L'Union interparlementaire de 1889 à 1939, page 192) : le poème "décrit, semble-t-il, l'Allée Verte, une avenue qui conduisait en ce temps-là au Palais royal de Laeken".
Voici les deux premières strophes de cette 12ème ballade des Odes et Ballades, de Victor Hugo.
Çà, qu'on selle,
Écuyer,
Mon fidèle
Destrier.
Mon cœur ploie
Sous la joie,
Quand je broie
L'étrier.
Par saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan ;
Viens, écoute,
Par la route,
Voir la joute
Du roi Jean.
Le poème est daté de juin 1828. Vous trouverez l’épigraphe (tirée d’une "ancienne chronique") et les 30 autres strophes sur le site Gallica de la BNF ou sur le site poetes.com. Il m’est arrivé de penser que, de même qu’il a probablement eu connaissance du poème de Longfellow grâce à Sullivan, Verlaine pouvait s’être souvenu de celui-ci parce que Chabrier l’avait mis en musique en 1866 et le jouait de façon habituelle chez Nina de Villard (cf. Roger Delage, Emmanuel Chabrier, Fayard, 1999, page 84. Comme l’atteste un croquis, Verlaine en gardait encore la mémoire en 1893). Mais, outre que cette ballade faisait partie des poèmes de Hugo qu’il a toujours appréciés (cf. Jean-Marc Hovasse, "Verlaine et Hugo", rubrique Liens), il semble en avoir tiré le titre Flûte et cor dont il rebaptise Romances sans paroles dans Les poètes maudits (et bien sûr, auparavant, avec une modification significative, les vers " Oh ! la nuance seule fiance Le rêve au rêve et la flûte au cor ! " de l’Art poétique). Or si l’on se fie à Emily Ezust,cette 26ème strophe du Pas d’armes :
ne figurait pas parmi celles qu’a retenues Chabrier.
On a bien sûr remarqué la citation des Aventures de Télémaque, qui ne pouvait passer inaperçue à côté du nom de Fénelon. Elle n’a d’ailleurs rien d’original au XIXème siècle : O. Bivort l’a retrouvée en épigraphe de Feuilles d’automne XXXIV et dans Par les champs et les grèves et je l’ai moi-même rencontrée dans Les aventures (…) du capitaine Corcoran, d’Alfred Assollant.
"On arriva à la porte de la grotte de Calypso, où Télémaque fut surpris de voir, avec une apparence de simplicité rustique, tout ce qui peut charmer les yeux. On n'y voyait ni or, ni argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues : cette grotte était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et de coquilles ; elle était tapissée d'une jeune vigne qui étendait ses branches souples également de tous côtés. Les doux zéphyrs conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur. Des fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amarantes et de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le cristal ; mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était environnée. Là on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les parfums ; ce bois semblait couronner ces belles prairies et formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvaient percer. Là on n'entendait jamais que le chant des oiseaux ou le bruit d'un ruisseau, qui, se précipitant du haut d'un rocher, tombait à gros bouillons pleins d'écume et s'enfuyait au travers de la prairie.
La grotte de la déesse était sur le penchant d'une colline. De là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle se brisait en gémissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D'un autre côté, on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui formaient les îles semblaient se jouer dans la campagne : les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité ; d'autres avaient une eau paisible et dormante ; d'autres, par de longs détours, revenaient sur leurs pas, comme pour remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues et dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines étaient couvertes de pampre vert, qui pendait en festons : le raisin, plus éclatant que la pourpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier et tous les autres arbres couvraient la campagne et en faisaient un grand jardin."
mais il semble qu’on ne se soit pas avisé de la présence pourtant évidente, juste auparavant, d’un vers de l’Invitation au voyage, de Baudelaire :
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
………………………………….
(Spleen
et Idéal, LIII)
Le renvoi se fait d’abord au titre, probablement, mais, devenant transitive, la construction confirme en outre l’absence de la femme (enfant et sœur rimant avec douceur !), éliminée au profit du paysage.
Fénelon : On ne peut compter pour rien la mention de Fénelon. Verlaine ne reprend pas la citation à son compte en l’intégrant dans son poème, mais il ne vise pas non plus à restituer à César ce qui est à César. Autrement dit, il ne cherche pas une caution ni ne s’approprie une expression, fût-ce pour la détourner. L’effet de cette mention est plutôt de restreindre la validité de l’appréciation (ce paysage n’est que celui de Fénelon). D’où une distanciation encore plus forte qu’avec " les Royer-Collards ". Il me semble que Verlaine dénonce ou accentue l’artificialité du paysage. Irait dans ce sens la prosodie :
Rappelons enfin le jeu des desinit dans la section (de Juifs-errants à Fénelon) et n’oublions pas les souvenirs scolaires du quiétisme, de l’impersonnalité du sentir.
Titre : V. P. Underwood (Verlaine et l’Angleterre, Nizet, 1956, page 77) a donné – en traduction – les trois premiers vers d’une romance composée en 1869 par Arthur Sullivan :
Oiseaux dans la nuit,
aux doux appels,
Vents dans la nuit, aux soupirs étranges,
Venez à moi, aidez-moi, ô vous tous…
On en trouvera les paroles anglaises à : http://math.boisestate.edu/gas/other_sullivan/songs/birds/birds.html
Il se cite à nouveau : Bonne Chanson III
III
En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j'étais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l'admiraient sans redouter d'embûches ;Elle alla, vint, revint, s'assit, parla,
Légère et grave, ironique, attendrie :
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela ;Sa voix, étant de la musique fine,
Accompagnait délicieusement
L'esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîté d'un cœur bon se devine.Aussi soudain fus-je, après le semblant
D'une révolte aussitôt étouffée,
Au plein pouvoir de la petite Fée
Que depuis lors je supplie en tremblant.
Pierre Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses (1782)
LETTRE XCII
LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT
Ô mon ami ! votre Lettre m'a glacé d'effroi. Cécile... Ô
Dieu ! est-il possible ? Cécile ne m'aime plus. Oui, je vois cette affreuse
vérité à travers le voile dont votre amitié l'entoure.
Vous avez voulu me préparer à recevoir ce coup mortel. Je vous
remercie de vos soins, mais peut-on en imposer à l'amour ? Il court au-devant
de ce qui l'intéresse ; il n'apprend pas son sort, il le devine. Je ne
doute plus du mien : parlez-moi sans détour, vous le pouvez, et je vous
en prie. Mandez-moi tout ; ce qui a fait naître vos soupçons, ce
qui les a confirmés. Les moindres détails sont précieux.
Tâchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut
changer toute une phrase; le même a quelquefois deux sens... Vous pouvez
vous être trompé : hélas, je cherche à me flatter
encore. Que vous a-t-elle dit ? me fait-elle quelque reproche ? au moins ne
se défend-elle pas de ses torts ? J'aurais dû prévoir
ce changement, par les difficultés que, depuis un temps, elle trouve
à tout. L'amour ne connaît pas tant d'obstacles.
Quel parti dois-je prendre ? que me conseillez-vous ? Si je tentais de la voir
? cela est-il donc impossible ? L'absence est si cruelle, si funeste...
et elle a refusé un moyen de me voir ! Vous ne me dites pas quel il était
; s'il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu'elle
se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence ; et pour mon malheur,
je ne peux pas ne pas y croire.
Que vais-je faire à présent ? comment lui écrire ? Si je
lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-être ;
et s'ils sont injustes, me pardonnerais- je de l'avoir affligée? Si je
les lui cache, c'est la tromper, et je ne sais point dissimuler avec elle.
Oh ! si, elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait.
Je la connais sensible ; elle a le cœur excellent et j'ai mille preuves de son
amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle
est si jeune ! et sa mère la traite avec tant de
sévérité ! Je vais lui écrire ; je me contiendrai
; je lui demanderai seulement de s'en remettre entièrement à vous.
Quand même elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fâcher
de ma prière, et peut-être elle consentira.
Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, et pour elle et pour moi.
Je vous assure qu'elle sent le prix de vos soins, qu'elle en est reconnaissante.
Ce n'est pas méfiance, c'est timidité. Ayez de l'indulgence ;
c'est le plus beau caractère de l'amitié. La vôtre m'est
bien précieuse, et je ne sais comment reconnaître tout ce que vous
faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite.
Je sens toutes mes craintes revenir ; qui m'eût dit que jamais il m'en
coûterait de lui écrire ! Hélas ! hier encore, c'était
mon plaisir le plus doux.
Adieu, mon ami ; continuez-moi vos soins, et plaignez-moi beaucoup.
Paris,
ce 27 septembre 17**
Notre-Dame ("ne voyant pas Notre-Dame luire")
Il ne s'agit naturellement pas d'une église,
telle Notre-Dame de la Garde, qui pourrait servir d'amer ou de phare. Le vers
renvoie plutôt à une dévotion des marins, qui a inspiré
des ex-voto ou un tableau comme celui de Gaston
Latouche (où la Vierge "luit"fortement !) : Notre-Dame
était toujours susceptible d'apparaître à des marins en
perdition pour leur apporter l'ancre de miséricorde (de salut). Cette
Notre-Dame de Bon-Secours, ou de la Miséricorde, ou de la Garde, ou de
Grâce, avait pour pendant, sur terre, Notre-Dame de Recouvrance... ou
Notre-Dame des Naufragés. Mais le culte rendu à Notre-Dame de
Bon-Secours se confondait pratiquement avec celui de Marie Stella Maris,
protectrice des marins (cf. un article
de Dominique Bon, notamment la citation de saint Bernard, page 2), ce qui
explique peut-être mieux le verbe "luire".
AQUARELLES
Cantique des cantiques, V, 2
Je dors, & mon cœur veille : j’entends la voix de mon bien-aimé qui frappe à ma porte. Ouvrez-moy, ma sœur, mon amie, ma colombe, vous qui estes mon épouse sans tache ; parce que ma tête est pleine de rosée, & mes cheveux de gouttes d’eau qui sont tombées pendant la nuit. (traduction de Lemaistre de Sacy)
Je dors, mais mon cœur veille… C’est la voix de mon bien-aimé ! Il frappe : « Ouvre-moi, dit-il, ma sœur, mon amie, ma colombe, mon immaculée ; car ma tête est toute couverte de rosée, les boucles de mes cheveux sont toutes trempées de l’humidité de la nuit. » (traduction de Renan, 1860).
Agrippa d'Aubigné, Hécatombe à Diane, LXXI
Les
lys me semblent noirs,
le miel aigre à outrance,
Les roses sentir mal, les oeillets sans couleur,
Les myrtes, les lauriers ont perdu leur verdeur,
Le dormir m'est fâcheux et long en votre absence.
Mais les lys fussent blancs,
le miel doux, et je pense
Que la rose et l'oeillet ne fussent sans honneur,
Les myrtes, les lauriers fussent verts, du labeur,
J'eusse aimé le dormir avec votre présence,
Que si loin de vos yeux, à regret m'absentant,
Le corps endurait seul, étant l'esprit content :
Laissons le lys, le miel, roses, oeillets déplaire,
Les myrtes, les lauriers dès le printemps flétrir,
Me nuire le repos, me nuire le dormir,
Et que tout, hormis vous, me puisse être contraire.
Avant de faire de ce sonnet une source de Spleen, il importerait de régler une question préjudicielle : Verlaine pouvait-il y avoir accès avant l'édition Réaume-Caussade de 1873-1892 ? Il ne semble pas, Le Printemps, avec L'hécatombe à Diane, ayant été publié pour la première fois dans le tome II de ces Oeuvres complètes, en 1874. Une source commune alors ? Henri Weber, dans l'édition de la Pléiade, renvoie effectivement à la deuxième églogue de Nemesianus :
"Te sine, vae, misero mihi lilia fusca videntur
pallentesque rosae nec dulce rubens hyacinthus,
nullos nec myrtus nec laurus spirat odores. "
mais le rapprochement,
qui tenait avant tout à la construction, est ici nettement moins convaincant.
Reste une possibilité : Eugène Réaume a été
le professeur de Verlaine, en troisième, au lycée Bonaparte ("un
M. Réaume qui a, je crois, écrit quelque chose chez Lemerre, qui
ne m'aimait guère et qui avait probablement raison...", Confessions,
Oeuvres en prose complètes, Pléiade, p. 476), et il aurait
pu ne serait-ce que lire ce sonnet à ses élèves...
Deux remarques sur la gigue :
1. il s'agit d'une danse exclusivement
masculine.
2. c'est une danse qui était poursuivie jusqu'à l'exténuation,
aussi bien au music-hall que dans la rue (cf. Jules Vallès, La rue
à Londres).
Charles Dickens, David Copperfield, chap. 53
Another Retrospect I must pause yet once again. Oh, my child-wife, there is a figure in the moving crowd before my memory, quiet and still, saying in its innocent love and childish beauty, Stop to think of me—turn to look upon the Little Blossom, as it flutters to the ground! I do. All else grows dim, and fades away. I am again with Dora, in our cottage. I do not know how long she has been ill. I am so used to it in feeling, that I cannot count the time. It is not really long, in weeks or months; but, in my usage and experience, it is a weary, weary while. They have left off telling me to "wait a few days more." I have begun to fear, remotely, that the day may never shine, when I shall see my child-wife running in the sunlight with her old friend Jip. He is, as it were suddenly, grown very old. It may be that he misses in his mistress something that enlivened him and made him younger; but he mopes, and his sight is weak, and his limbs are feeble, and my aunt is sorry that he objects to her no more, but creeps near her as he lies on Dora’s bed—she sitting at the bedside—and mildly licks her hand. Dora lies smiling on us, and is beautiful, and utters no hasty or complaining word. She says that we are very good to her; that her dear old careful boy is tiring himself out, she knows; that my aunt has no sleep, yet is always wakeful, active, and kind. Sometimes, the little bird-like ladies come to see her; and then we talk about our weddingday, and all that happy time. What a strange rest and pause in my life there seems to be—and in all life, within doors and without—when I sit in the quiet, shaded, orderly room, with the blue eyes of my child-wife turned towards me, and her little fingers twining round my hand! Many and many an hour I sit thus; but, of all those times, three times come the freshest on my mind. It is morning; and Dora, made so trim by my aunt’s hands, shows me how her pretty hair will curl upon the pillow yet, and how long and bright it is, and how she likes to have it loosely gathered in that net she wears. "Not that I am vain of it, now, you mocking boy," she says, when I smile; "but because you used to say you thought it so beautiful; and because, when I first began to think about you, I used to peep in the glass, and wonder whether you would like very much to have a lock of it. Oh, what a foolish fellow you were, Doady, when I gave you one!" "That was on the day when you were painting the flowers I had given you, Dora, and when I told you how much in love I was." "Ah! but I didn’t like to tell you," says Dora, "then, how I had cried over them, because I believed you really liked me! When I can run about again as I used to do, Doady, let us go and see those places where we were such a silly couple, shall we? And take some of the old walks? And not forget poor papa?" "Yes, we will, and have some happy days. So you must make haste to get well, my dear." "Oh, I shall soon do that! I am so much better, you don’t know!" It is evening; and I sit in the same chair, by the same bed, with the same face turned towards me. We have been silent, and there is a smile upon her face. I have ceased to carry my light burden up and downstairs now. She lies here all the day. "Doady!" "My dear Dora!" |
Pour écarter de vaines spéculations, je renvoie à un site retraçant l'histoire des liaisons maritimes entre Ostende et Douvres. Le gouvernement belge possédait une flotte dont les navires, baptisés de noms de pierres précieuses, furent remplacés à partir de 1866 par 7 autres, nommés d'après la famille royale. La Comtesse de Flandre, bientôt mère de celui qui deviendrait Albert Ier, donna son nom au cinquième, lancé en 1871. Verlaine a-t-il pensé spontanément que la belle-soeur du roi Léopold II ne pouvait être que princesse ? Je suppose qu'il n'était guère au fait des titres en usage à la cour de Belgique (en vertu d'un arrêté de 1840), mais qu'il a ensuite découvert son erreur et rectifié, par le même souci d'exactitude qui le conduisit à remplacer "entre deux murs" par "derrière un mur", dans Streets II. Il n'y aurait pas lieu, dans ces conditions, de convoquer le souvenir de Mathilde de Flandre, épouse de Guillaume le Conquérant, qui n'a d'ailleurs jamais été "princesse" au sens strict.
Le site auquel je renvoyais a disparu mais on peut trouver sur la Toile d'autres mentions, relatives au naufrage de ce vapeur à aubes, en 1889. D'autre part, Verlaine ignorait sans doute que Napoléon III avait emprunté ce même navire pour gagner son exil anglais, deux ans plus tôt.